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ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE

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Le Temps des Mérovingiens
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Illustration de la fondation, par Cassiodore, de l'abbaye italienne de Vivarium (vers 555).

Manuscrit de l'abbaye de Bamberg, VIIIe siècle


Le temps des Mérovingiens ( environ 486-753)

 

 

 

 

annexe : généalogie des Mérovingiens

 Abbaye de St Germain des Prés, à Paris

Du flou monastique à la règle bénédictine

 

Avant saint Benoît, le monachisme, sous sa double forme, ascétisme (beaucoup) et étude (un peu), florissait en Occident depuis plusieurs générations. S'il avait quelque peu souffert de l'invasion des barbares, il avait, en revanche, grandement opéré leur conversion. Les couvents vivent encore au rythme de règles très différentes, ce qui témoigne d'un grand essor monastique.

Celle de Cassien ou plutôt de Macaire était généralement suivi en Espagne et dans le sud de la Gaule. La plupart des religieux italiens avaient adopté celle de Basile, que Ruffin avait traduite en latin. Par ailleurs, on a pu dire que saint Augustin, évêque d'Hippone, avait rédigé une règle monastique (vers 423), mais elle ne fut suivie, paraît-il, que dans le Nord de l'Afrique et, plus qu'une règle, c'était plutôt une série de prescriptions tirée des écrits ascétiques de ce grand docteur de l'Eglise. Césaire d'Arles (470-542), contemporain de Benoît, mais historiquement son aîné était aussi l'auteur d'une règle sommaire pour les hommes, laquelle n'a rien de commun avec la constitution de Benoît, et d'une règle fort détaillée pour les femmes, auxquelles Benoît ne paraît pas avoir jamais songé. Rappelons que cette règle fut tout spécialement écrite pour le couvent de moniales de Saint-Genest (ou Genès) les Alyscamps (Aliscamps), qu'il transfèrera au monastère Saint Jean (devenu abbaye Saint-Césaire) que Césaire fondera vers 512 à cause des invasions franques et gothiques et après avoir réformé le monastère de Trinquetaille, près d'Arles, vers 499. Il est par contre moins sûr qu'il ait fondé un couvent à Montmajour, mais la légende est tenace, sur cette île où il aimait se retirer, comme le faisait le grec Trophime d'Arles, premier évêque de cette ville, vers 250.

Pendant ce temps, en Italie, on trouve un monastère qui fut un grand centre d'études religieuses et dont l'influence s'étendit jusqu'en Afrique : nous voulons parler de Lucullanum, fondé par l'évêque-abbé Eugippe.

Toutes les règles dont nous avons parlé n'étaient certes pas aussi abouties que celle qu'on attribue à Benoît de Nursie (vers 480-547 ), Règle dont Bossuet dira qu'il y voyait "un précis du christianisme, un docte et mystérieux abrégé de toute la doctrine de l'Évangile, de toutes les institutions des Saints Pères, de tous les conseils de perfection". C'est donc à bon droit que Benoît de Nursie est regardé comme le premier législateur des moines d'Occident. Saint Benoît, appelé parfois Père des moines d'Occident, avait réuni autour de lui un grand nombre de disciples, et il est symboliquement considéré comme le premier des abbés. Il fonde, vers 530, au sud de Rome, le monastère du Mont-Cassin : c'est le berceau des Bénédictins.

Pendant, ce temps le monachisme ne cesse de se développer, en Armorique, en Bretagne, en Irlande, en Espagne :

En Irlande (Hibernie), Kévin (498-618) fonde Glendalough ; Enda (Eanna) fonde Inishmore vers 532. Un de ses disciples, Ciaran (+ vers 545) fonde Clonmacnoise ; Finnian ( + vers 552) fonde Clonard, un des centres intellectuels d'Irlande ; Comgall (+ vers 601) fonde Bangor près de Belfast, vers 555 ; Brendan (484-578) le navigateur fonde Clonfert. S'est-il embarqué ensuite dans le prodigieux périple que nous conte un écrivain du Xe siècle? On ne sait, mais ce qui est vrai, c'est que ce récit, la Navigatio Sancti Brendani, est devenu très populaire au moyen-âge. Un autre Finnian (470-579) fonde le monastère de Magh Bile (Moville), les deux Finian ayant eu pour élève Columba (Columcille, 521-597), qui fonda en 563 le célèbre monastère sur une île des Hébrides, Iona. Ce Columcille ne doit pas être confondu avec son homonyme célèbre, de vingt ans son cadet, grand évangélisateur et fondateur de monastères sur le continent, et dont nous allons parler plus loin.

Revenons maintenant en Italie, vers 555, c'est Cassiodore qui élève le monastère de Vivarium, sur le Monte Castellum en Italie, près de Naples, dont il dit que " l'endroit est aussi solitaire qu'un désert car il est entièrement clos d'un ancien mur. " L'œuvre de Cassiodore à Vivarium est une des rares expériences de centre d'études chrétiennes, mais, hélas, les armées lombardes pointent le nez en Calabre dès 590, et mettent à mal cette réalisation ambitieuse.

Cette déferlante barbare désorganisera le monde monastique italien : Pierre Riché nous parle de moines devenant clercs sans permission, vivant sans abbé ou sans règle, achetant des biens, vivant en concubinage avec des femmes, accueillant des soldats, etc... Et le même historien de nous montrer un Grégoire mécontent de cette situation et admonestant un abbé de Syracuse lors de la réception chez lui de sa communauté.

Grégoire, c'est Grégoire le Grand (540-603), bien sûr, qui gouverna l'Eglise de 590 à 603, fut un des champions les plus ardents de saint Benoît. Le célèbre pape aurait sûrement préféré que les moines ne suivent qu'une règle, la règle de Benoît, mais celle-ci devait encore cohabiter quelque temps avec d'autres règles. Grégoire aurait fondé sept monastères, le plus connu étant celui de Saint André, sur le Mont Coelius (Celius) à Rome, élevé dans les années 570, après la mort de son père, qui était devenu un des plus riches propriétaires fonciers de Rome. Grégoire s’installe alors dans la maison paternelle, le Clivus Scauri, démissionne de ses charges et, sous la conduite du moine Valentino, forme une communauté religieuse : Ce furent, dira-t-il plus tard, les cinq années les plus heureuses de ma vie. En plus de ce monastère sous le vocable de saint André, il fonde six autres monastères dans les domaines familiaux de Sicile. Outre Saint-André, nous ne connaissons rien de l'univers monastique à Rome à cette époque. Nous savons juste le nom du monastère Saint-Jean-Saint-Etienne-de-Classis dont l'abbé Claude avait suivi l'enseignement de Grégoire.

Notons au passage que Grégoire fut le premier moine à devenir pape. Avant cela, il devint abbé de son monastère, sans que l'on sache s'il avait adopté l'observance bénédictine ou non. D'ailleurs, la règle Bénédictine ne se généralisera que progressivement. Au temps de Grégoire, en tout cas, la multiplicité des règles en vigueur, nous l'avons dit, et la discipline plus ou moins lâche qui régissait les monastères faisaient que beaucoup de moines renonçaient à leur état et à leurs vœux de chasteté.

C'est à ce moment, vers 589/590, que Colomban intervient. Il part de son Irlande natale avec douze compagnons, en particulier Gall, qui donnera son nom à la célèbre abbaye du même nom. D'autres moines insulaires, un peu avant lui, s'étaient déjà exilé sur le continent, tel Gildas (+ 565), moine de Bretagne, fuyant l'invasion anglo-saxonne, et qui se réfugie en Armorique, sur l'île de Rhuys, où il fonde un monastère (536). D'autres continuent d'enraciner le christianisme au pays de Galles, où ils s'étaient réfugiés pour la même raison. Ainsi, Cadoc (Docus, Cathmael, Cadvael ou Cadfael, + 580) fonde un monastère à Llancarfan, près de Cardiff .

Arrivé donc, sur les terres de Burgondie ( qui deviendra la Bourgogne), Colomban fonde en peu de temps trois abbayes sur des domaines vosgiens appartenant au roi Gontran
* (561-593) : Annegray, puis l'année d'après, la célèbre abbaye de Luxeuil et celle de Fontaines, avec beaucoup de réticence de l'épiscopat mais avec l'appui de la Cour de Burgondie (Bourgogne).

* GONTRAN : Il fonda lui-même un monastère à Hubilac (Hubillac), qui deviendra Saint-Marcel-lès-Chalon, dans l'actuelle Chalon-sur-Saône, où le chancelier de Gontran, saint Flavius (+ v. 595) érigea l'abbaye Saint-Pierre. Ajoutons enfin que Gontran favorisa vers 580 la fondation de l'abbaye de Saint-Sour, en Bas-Limousin, érigée par Sour (Sorus, Sore l'Arverne, Sur, ce dernier mot gaulois signifiant ermite, anachorète). Issu d'une riche famille auvergnate, Sour et ses compagnons Cyprien et Amand, s'étaient installés en ermites dans le domaine mérovingien de Genouillac. (Genuliacus). Là, Sour fonda un monastère en un lieu connu depuis l'antiquité pous ses fontaines sacrées. Avec l'aide de l'abbé Arédius, du monastère d'Attane (Saint-Yrieix), ce couvent fut doté d'une église dédiée au martyr saint Julien et d'un hôpital (xenodochium). Quant à Amand, il fondera un monastère non loin de là, à Coly, ce sera Saint-Amand-de-Coly. Amand et Cyprien enterrèrent Sour dans une basilique, près du castrum de Terrazo, autour de laquelle un village grandira, pour devenir Terrasson, puis Terrasson-Lavilledieu.
 

Ainsi, quoiqu'il soit postérieur à Benoît, c'était bien la règle de Colomban (Columba, Columban, Colomba) qui était observée dans les nombreux monastères fondés par l'évangélisateur irlandais, ainsi que ceux dont ils déterminèrent la fondation.

Cependant, la règle de Colomban découragera vite par son extrême austérité, et déjà, Walbert (ou Waldebert), le deuxième abbé de Luxeuil, mêla la règle de St Benoît à celle qui régissait alors la plupart des monastères continentaux de type celtique. Cette adaptation se pratiqua de plus en plus, à la manière de délicats cocktails où le 1/3 2/3 était courant... à vous de trouver les bonnes proportions des ingrédients !

L'action de Columban (on dit "colombanisme" ou "columbanisme" ) et de ses disciples a été un moment déterminant dans l'évolution du monachisme chrétien, et dans le christianisme tout court, d'ailleurs.
Pour mieux connaître Colomban, approfondir les sujets qui le touchent, lire absolument le très intéressant article à propos de ce grand réformateur irlandais, que vous trouverez sur le site très riche de Georges Briche dédié à l'apport des Celtes dans la culture du haut moyen-âge :
http://www.chez.com/menarpalud/bienvenue.htm
 

L'abbaye au cœur d'une profonde mutation

Bien souvent, c'est l'Eglise qui prendra le relais de l'Etat romain en décomposition. Les nobles familles franques, peu citadines, tournées vers les grands espaces, la chasse, choisiront de vivre en majorité dans de grands domaines à la campagne. Alors qu'au VIe siècle, les abbayes sont construites plutôt sous l'égide des évêques, au siècle suivant, elles seront créées surtout au sein de grands domaines privés et aristocratiques, nous allons le préciser au prochain chapitre.
Les monastères, en cette période troublée, seront les palliatifs, les béquilles nécessaires à une société ayant beaucoup de mal à assurer sa subsistance, sa sécurité, sa santé et son éducation. En effet, les clercs sont à peu près les seuls lettrés dans un monde plutôt dévasté, physiquement et culturellement.
"Comme l’Etat romain s’est dissous, il faut une nouvelle hiérarchie du pouvoir : elle est fournie par les comtes, les châtelains, les chevaliers... Ce qui m’a beaucoup frappé, bien que ce ne soit pas tout à fait en Languedoc, c’est de voir qu’à Marseille l’abbaye Saint-Victor, par exemple, perçoit le tributum. Or le tributum, le tribut, c’était un impôt romain. Ce sont les moines qui l’empochent parce qu’il n’y a plus d’Etat et qu’ils assurent vaguement la protection des hommes."
 
Extrait de la page http://www.nouvelobs.com/dossier_1918/languedoc.html (propos d'Emannuel Leroy-ladurie)
 
Ce sont les moines qui apporteront essentiellement les solutions d'un nouveau départ, de manière concrète surtout, en particulier les moines colombaniens (disciples de Colomban). En effet, avant ceux-ci, jusqu'à la fin du VIe siècle, les monastères furent surtout établis en territoire déjà christianisé, alors que Columban et ses successeurs, pratiquant un monachisme celte n'imposant pas la clôture et tourné résolument vers l'évangélisation, donneront un coup de fouet au christianisme continental. Voyageant inlassablement, s'instruisant en différentes abbayes en relation avec l'Irlande, qui continuaient d'entretenir la culture savante latine et grecque, ces moines apportaient chacun une pierre à l'édification de la nouvelle société qui se dessinait.
N'oublions pas que le monde mérovingien, en particulier au nord de la Loire, mais pas seulement, est en grande partie païen et qu'il faudra beaucoup de zèle aux évangélisateurs pour convertir bien des populations. Dans les campagnes, surtout, ce travail sera en grande partie, nous l'avons dit, réalisé par Colomban et ses disciples, nous le verrons, là où les rares évangélisateurs continentaux avaient quelque peu échoué.
 


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