ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE

-ABBAYE
   
 
 
Les Jardins
 
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    Opus ruralium commodorum ou Rustican ou Livre des profits champêtres, de Pierre de Crescens (Pietro Crescenzi, Crescentio, Petrus Crestencius, Bologne 1233 -1320).
    Manuscrit de Francesco Sansovino (Venise, éditions F. Rampazetto, 1564)
 
---LE JARDINIER---


Le jardin est un endroit qui rappelle aux moines la pureté de la Création. En effet, Adam et Eve, premiers jardiniers en Eden, s'en occupaient avant même que le péché ne les chasse du Paradis :

 

 


 
Adam bêchant et Eve filant au Paradis

 Adam bêchant au jardin d'Eden 

Vitrail de la cathédrale de Canterbury, 1178-1180

 Eglise de tous les saints, Broughton, Cambridgeshire, XVe s.
Eglise Saint-Nicolas de Tavant, Indre et Loire, fin XIIe s.  


Jardiner n'était donc pas un travail, au sens du salaire du péché. L'image la plus emblématique, mais qui n'a pas eu une grande diffusion, est celle du Christ jardinier :
 
 

 

 

 Le Christ jardinier

Anonyme, XVe s., Musée de Picardie, Amiens.
 L'Apparition du Christ ressuscité à la Madeleine

Anonyme, XVIe s., plaque d'émail d'après Albrecht Dürer
A sa résurrection, le Christ apparaît à Marie-Madeleine en premier, qui le confond d'abord avec un jardinier. Après l'avoir reconnu, elle tombe à ses pieds et veut le toucher. Le Christ lui dit : "Ne me touche pas !" (noli me tangere, en latin) et lui demande d'aller porter la bonne nouvelle de son retour des morts.

 
A Rome c'est le viridiarius ou le topiarius qui s'occupent du jardin d'agrément, et c'est l'olitor qui s'occupe du potager, le vinitor de la vigne, et plus généralement, le jardinier est nommé villicus ou cultor hortorum. L'hortulanus ou gardinarius s'occupera du jardin monastique. Les moines qui l'aident dans cette tâche sont les curticulari. Ils le secondent dans les différents travaux du jardin : fabrication des plesses, des palissades, bêchage, arrosage, etc...

Divers témoignages de moines d'aujourd'hui font penser qu'un jardin monastique changeait selon les conceptions du moine qui s'en occupait. Ses connaissances horticoles lui permettaient d'être le principal ordonnateur de l'espace, et partant, lui octroyaient une grande liberté pour le structurer, choisir, développer et croiser les espèces, etc...Par ailleurs, il devait y avoir des contacts étroits entre le jardinier et le cellérier, responsable de l'alimentation des moines.

"Pour en rendre le grain fin et souple, la texture
moelleuse et légère, gages de bonté et de fécondité, il en brise les mottes à l’aide
d’une houe. Il épand alors de l’engrais, composé de préférence de fientes de
pigeons. Brune et amendée, la terre est prête à recevoir les semences. Disposées
dans une corbeille ou glissées au fond du tablier de semailles, les graines sont
semées à la volée, soigneusement plantées en ligne dans des sillons, ou enfouies
dans les trous que le moine a ménagés à l’aide d’un bâton faisant office de plantoir.
Il les recouvre ensuite d’une fine couche de terre, soigneusement ratissée. Les
semis lui sont fournis par le célerier qui veille aux approvisionnements monastiques,
fonctions de la Règle et des temps liturgiques."

extrait de :
http://www.abbaye-fontevraud.com/pdf/lalettre_n2.pdf
 

 LES - OUTILS



Heures à l'usage de Rome,
jardinier bêchant, fin 15e s,
Bibliothèque Mazarine, Paris,
ms. 0502, f. 003.
 
L'art des Jardins, détail. Livre des profits champêtres de Pierre de Crescens, XVe siècle, Bibliothèque de l'Arsenal, Paris

 

Les outils et les structures que le moine jardinier utilise ne diffèrent pas de ceux employés par son collègue laïc.
L'outil de saint Fiacre était très probablement un outil entièrement en bois (manche et lame) : (01), avant qu'on y adapte un tranchant de fer. Remarquez la forme traditionnelle très souvent utilisée jusqu'au milieu du moyen-âge, et reconnaissable à son manche décentré : (1) (2) puis en adoptant le fer plat que nous connaissons et que connaissaient aussi les Romains : (3)
Différents instruments étaient utilisés qui continuent de l'être, telle la fourche, dont Strabon disait employer comme tuteur, mais aussi le râteau (raster, rastum, raster bidens chez les Romains) (4). A l'époque Carolingienne, l'abbaye Picarde de Corbie de l'abbé Adhalard n'aurait possédé que deux bêches*, six houes (rutrum, rutellum, chez les Romains), deux faucilles et une faux pour le jardinage :(5)
 

* BECHE : les polyptiques carolingiens utilisent le plus souvent le terme fossorium (verbe fodere) pour désigner l'outil pour labourer à la main (bêche, houe...). Les Romains utilisaient pala, palas ligneas (en bois) citée par Caton (Marci Catonis) dans son De Re Rustica. Columelle (L. Iunii Moderati Columellae) parle lui de tranchant en fer (De Re Rustica, X, 45)

En plus de ces instruments, les moines jardiniers se servent de couteaux (6), (7), ou de différentes serpettes, ciselées pour couper les plantes délicates, à talon pour tailler la vigne (podadora), dont les lames en acier portent souvent des inscriptions religieuses, mais aussi des griffes :


    01. Fileuse et homme bêchant (voir image entière ici). Vincent de Beauvais, Miroir de la Salvation humaine, France, XVe siècle
    Paris, BnF, département des Manuscrits, Français 6275, fol. 4.
    1. travaux des champs à la bêche en bois du haut moyen-âge, manuscrit anglais.
    2. bêche, manche en bois et lame en fer (fer plat), XVe s., musée de Londres
    3. mort portant sa bêche et son suaire. Peintures murales de l'église d'Alluyes, Eure et Loir, fin XVe-début XVIe
    Oeuvre commandée probablement par Florimont Roberté (v. 1457-1527), trésorier des rois Charles VIII, Louis XII
    et François Ier.
    4. Songe du roi Henri Ier, détail, Chroniques de Jean de Worcester (Chronicles of John Worcester), Bodleian Library, University of Oxford, MS Corpus Christi College, 157, fol. 382.
    5. Jardinier portant fourche et râteau, Psautier de Baumont, Bibliothèque municipale de Besançon.
    6. Répliques de couteaux, 1200-1400, Italie. Lame en acier et poignée en os (à gauche) et en bois.
    7. Récolte de melons doux (melones dulces), fol 21r du Tacuinum Sanitatis.
     


Nous avons vu qu'Antoine, Fiacre ou encore Filibert travaillaient leurs jardins. Le jardinier oeuvre à la fois à reproduire en miniature le jardin d'Eden (nous verrons cela au chapitre du jardin symbolique), à créer les meilleures conditions de dialogue entre l'homme, la Nature et le Créateur, mais il est aussi homme de métier, de connaissances, que ce soit Filibert au VIIe siècle ou le moine capucin d'un monastère de Bahia au : deux moines qui ont créé de nouvelles variétés de fruits.

   
 Détail de la Thébaïde, de Starnina
 Valerius Corvus bêchant son jardin, manuscrit français de la BNF, ms 289, fol 397

Les moines ont entretenu des connaissances de jardinage (ortalicia) tant que les moyens financiers de leurs monastères ne leur permettaient pas de s'en abstraire ou que les travaux manuels occupaient une place de choix dans la philosophie du monastère, sujet qui a souvent divisé les moines. Il y en eut toujours par passion, tels Albert le Grand au XIIIe siècle (voir Les jardins - deuxième partie - Capitulaire de Villis - Plan de Saint-Gall - Strabon) ou Arnaud d'Andilly au XVIIe siècle (voir La vie dans les abbayes : les jardins - hortus conclusus 3)

     

    "Il fist li synode,
    c'est la congregation, de Salerne; et trova que toutes li ordene de
    l'Eglize estoient toute occupé de la fausse symonie. Més, come
    li bon ortellain, à ce que non perisse la plante qui novellement
    est plantée, la va drechant, qué chie, sur lo poiz de li pecheour
    tient l'espaule, et espart lo pesant faiz, à ce que non rompe l'es-
    paule de cellui qui lo porte."

    Histoire de li Normant, traduction en vieux français de l'Historia Normannorum du Lombard Aimé du Mont-Cassin (Amato de Monte Cassino, fin du XIe s.)
 
A la fin du moyen-âge, beaucoup de moines de grandes abbayes délaissent les travaux manuels quelque peu pénibles, ainsi que le font les moines de l'abbaye de Saint-Victor de Marseille, à la fin du XIVe siècle. En ce qui concerne notre sujet, ils octroient à bail les jardins du monastère à un "ortolan" (ortola, hortola, ortolanus, puis ortellain, dérivé substantivé de hortulanus : "du jardin"), qui se chargera de planifier les cultures du potager et de remettre au céllerier, et selon un calendrier établi, les légumes nécessaires à la nourriture de la communauté.
 

       

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