ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE

ABBAYE
 

---------Jardins

       
 
L'Herbularius
ou le
Jardin des Simples

 


Introduction
Les simples : vertueuses et magiques
Culture et cueillette
 

 
 
 
INTRODUCTION
 

La charité fait partie des devoirs essentiels des chrétiens, comme le rappelle l'évangile de Mathieu : " Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux. " Benoît de Nursie s'en préoccupait beaucoup, qui considérait cette activité comme une priorité de l'activité monastique : voir Hôpital monastique et infirmerie monastique, l'Hortus Conclusus.

En conséquence, les moines ont étudié les plantes et les remèdes en général, transcrivant et commentant les oeuvres d'Aristote, d'Hippocrate, de Dioscoride, de Galien, de Pline, etc... (le lecteur trouvera dans d'autres articles le détail de toutes ces contributions), expérimentant eux-mêmes dans leurs jardins à partir de ces connaissances livresques et de la coutume.
 
Patrick en Irlande, Benoît et Cassiodore en Italie sont parmi les premiers à inciter les moines à connaître les remèdes utiles à guérir les malades. Cassiodore faisant ses recommandations aux moines, leur dit : " Apprenez les propriétés des remèdes simples et des remèdes composés… " extrait de "Institutiones divinarum et humanorum" de Cassiodore (550 - 562).

L'herbularius ( de herba, herbae : herbe, on trouve aussi erbarium botanicum, hortus botanicus) est un jardin où l'on cultive des plantes médicinales : simplicis medicinae, simplicis herbae, appellations latines qui n'utilisaient pas encore la forme substantive que donnerait le français à la plante elle-même, mais où l'adjectif qualifie de simple un remède (medicina) ou une herbe (herba) constitués d'une seule substance (pensait-on). On la pensait donc simple, peu complexe, par opposition au mélange composé (composita) ou alambiqué (au sens propre) de la médecine savante. Ajoutons que le mot drogue, apparu vers le XIVe siècle, viendrait, par le néerlandais, de l'ancien anglais driggen, qui signifie "sécher", ce qui indique l'importance des plantes médicinales dans la pharmacopée médiévale. Le grand livre des simples du moyen-âge est sans doute celui de l'abbesse Hildegarde von Bingen (1099-1179), qui écrira son célèbre "Liber Simplis Medicinae", ouvrage important dont nous aurons l'occasion de reparler et qui décrit près de 300 végétaux, mais il en existe de nombreux autres, dont nous avons déjà parlé, qu'ils appartiennent à la culture judéo-arabe ou occidentale, avec le renouveau de l'encyclopédie, de l'hygiène, de la diététique, de l'agriculture, de la botanique, etc.
 
L'on voit apparaître le singulier au XIIIe siècle, la première mention du pluriel étant du XVe ( bizarrement masculin singulier, masculin pluriel). Le mot SIMPLE n'est sûrement pas d'un usage courant avant longtemps : Le dictionnaire "françois-latin" de 1552 de Robert Estienne (1504-1564) ne le mentionne pas, pas plus que Le Furetière de 1684, qui passe de l'entrée SILLET à celle de SINOPLE sans vergogne.
 

 
UN PEU D'HISTOIRE
 

Le jardin médicinal est omniprésent dans les monastères chrétiens, et ce jardin des simples se situe en général dans l'espace de l'infirmerie, souvent près de l'apothicairerie, mais aussi de la maison des saignées ou du cloître, conformément au modèle du plan de Saint-Gall :
Plan de Saint-Gall de l'herbularius, avec mentions latines des plantes cultivées.

Comme on le voit ordonné sur le plan, le jardin des simples du plan de Saint-Gall comporte 16 végétaux où se mêlent fleurs et plantes aromatiques, et que l'on retrouve intégralement prescrites au capitulaire de Villis (on s'y rapportera pour le détail de chaque plante) à savoir, par ordre alphabétique :

 

 Nom français
 Nom latin
du plan de St Gall
  
Nom latin du Capitulaire
de
Villis
(nom latin scientifique à voir au chapitre du Capitulaire)

 Cumin  Cumino   Cimino
 Fenouil  Feniculum  Fenicolum
  Fenugrec  Fena Graeca  Fenigrecum
 Iris  Gladiola  Gladiolum
 Livèche  Lubestico  Levisticum
 Lys  Lilium  Lilium
 Menthe  Menta  Mentam
 Menthe aquatique (voir nasitort)    
 Menthe-coq  Costo  Costum
 Menthe-pouliot  Pulegium  Puledium
 Mongette  Fasiolo   Fasiolum
 Nasitort (Nasitord : cresson de terre) ? Menthe aquatique ?
Harbarée(?) selon le plan illustré plus haut est inconnue au bataillon !
  Sisimbria  Sisimbrium
 Pouliot (selon le plan illustré plus haut. On dit plutôt : menthe-pouliot, voir plus haut)    
 Romarin  Rosmarino  Ros marinum
 Rose  Rosas   Rosas
 Rue  Ruta  Rutam
  Sauge  Salvia  Salviam
  Sarriette  Sataregia  Satureiam
 

 
Les simples : vertueuses et magiques
 

Le moine apothicaire, qui est souvent le moine infirmier, mais aussi tous ceux qui étudieront les plantes resteront jusqu'au XVIIe siècle (et même plus tard) attachés aux propriétés humorales de Galien et d'Hippocrate (sur ce thème, voir : saignées ) et influencés par toutes sortes de traditions, issus de l'expérience, mais souvent superstitieuses et magiques. Par ailleurs, ils feront dire aux plantes, créés par Dieu pour l'Homme, que leur forme, leur couleur, leur habitat, ont des analogies avec les maladies ou les organes du corps. Bien compris, ce langage analogique devait leur permettre d'en tirer les bienfaits (quand d'autres en chercheront les maléfices, bien sûr!). Cette idée est appelée un peu improprement "théorie des signatures", alors que ce terme ne fut en quelque sorte consacré qu'au XVIe siècle par Paracelse (Theophrast Bombast von Hohenheim dit, 1493-1541), qui est pour les alchimistes de l'époque une expression exprimant plutôt des correspondances entre les plantes et le monde astrologique et minéral.
 
Depuis la nuit des temps, en effet, de nombreuses sociétés humaines ont cru en des correspondances magiques entre les plantes et d'autres éléments naturels, et les cultures occidentales n'ont pas échappé à ces croyances. Ainsi, les moines, à l'instar de leurs contemporains, seront attentifs à ces similitudes (simila similibus curantur : soigner par l'identique), qui représentait là un contrepied à la théorie de Galien, qui entendait soigner par le contraire. Par exemple, les feuilles de la bourrache ont une forme qui rappelle celle des poumons : on les utilisera donc contre les maladies de poitrine. L'aspect des graines de cumin évoque la forme des reins : on leur prêtera une action diurétique et stomachique. Le saule pousse les pieds dans l'eau : on le recommandera alors pour les rhumatismes. La forme de la fleur de pavot est toute indiquée pour soigner les maux de tête. Le renflement de certaines racines du ficaire ont un peu la forme de la figue, ce qui conduit à les prescrire pour les hémorroïdes, etc... Un exemple riche d'iconographie est celui de la mandragore, dont la forme rappelle le corps humain : Manuscrit anonyme du XVIe siècle, Paris, Bibliothèque de l'Arsenal.
 
Le Saule et la Reine des Prés, poussent dans des lieux humides : ils seront donc bons pour les rhumatismes. Heureusement, ces deux plantes contiennent des salicylates, dont un dérivé est l'aspirine du nom latin de la Reine des Prés, Spiraea ulmaria. La Chélidoine, elle, sécrète un latex jaune d'or : elle soignera ...le foie, bien sûr. Nous clôturerons cette très courte énumération en évoquant encore Hildegarde de Bingen, cette fois avec humour, qui pensait que les plantes légères comme les cheveux devaient aussi être légères à digérer !
 
Si un grand nombre de simples ont vu leurs vertus supposées se confirmer et se préciser par la science moderne, d'autres se sont révélées rattachées à de simples superstitions et il en est d'autres encore à propos desquelles on s'interroge toujours.
 

 
Culture et cueillette
 

On ne cultivait pas dans les herbularius uniquement des simples, mais on les associait souvent aux plantes aromatiques et aux condimentaires qui, pour une bonne part, ont aussi une faculté curative. Il n'existe pas beaucoup de textes à ce sujet pour se faire une idée très précise de la question.
 
On utilisa d'abord en majorité des espèces locales ( Strabon, Hildegarde de Bingen) spontanées ou sub-spontanées, puis l'orient et le nouveau monde nous firent connaître à la fois leurs plantes exotiques et de nouvelles espèces s'acclimatèrent dans les jardins occidentaux (à ce sujet, voir le chapitre : Physionomie des jardins). De nombreux botanistes pensent, par exemple, que les moines de l'abbaye de Vauclair, dans le Laonnois (Aisne, 02) ont introduit au cours du temps des plantes nouvelles dans la région. "Au début du XIIe siècle, un intellectuel anglais vivait envoûté par ses livres. Saint Bernard, le fondateur de Clairvaux, lui écrivit une lettre célèbre: « Tu trouveras plus de choses dans les bois que dans les livres... », lui disait-il. L'homme s'arracha à ses manuscrits et devint le premier abbé de Vauclair"
extrait de http://home.tiscalinet.be/vauclair/JARDIN.htm
 
 
Précisons que la culture des plantes médicinales ne suffisait pas à couvrir les besoins de la communauté, qui soignait ses propres moines, mais aussi une foule de nécessiteux. De plus, les plantes cultivées ont une moindre valeur thérapeutique que la cueillette des plantes in-situ (là où elles poussent naturellement) et qui se pratiquait régulièrement. A ce sujet, il est intéressant d'entendre Michel Cambornac à propos de l'abbaye de Fontevraud, dont il a recomposé les jardins. L'horticulteur-historien s'étonne des disproportions entre la superficie des jardins et les centaines de moniales qui occupaient l'abbaye au plus fort de son activité et il suppose que nombre de plantes alimentaires ou médicinales étaient cultivées ou cueillies à l'extérieur du monastère, ce en quoi il doit avoir raison, et l'étude des domaines de l'abbaye nous le confirmera.

Un petit commerce entourait l'activité tournant autour des plantes médicinales : L'abbaye payait souvent des cueilleurs, achetait des plantes exotiques, sans compter qu'il existait un réseau d'échanges entre les abbayes, selon les spécialisations de chacune. C'est ainsi, par exemple, que les Chartreux de Fribourg-en-Brisgau cultivaient Radix Angelicae, les Bénédictins de Wurtzbourg Radix Liquivitiae.
 

 
RECONSTITUTIONS, voir aussi Reconstitutions de l'hortus conclusus
 

 
 

Reconstitution du jardin médicinal de l'ancien prieuré de Salagon, entre Durance et Lure, dans le bassin de Forcalquier, en Provence, créé par Pierre Lieutaghi, ethnobotaniste et écrivain, qui en est aussi le conseiller scientifique. Plus qu'un jardin des simples, il rassemble "la flore utile de base de la société traditionnelle haut provençale : les plantes de la pharmacopée populaire, des abords de bergeries," mauvaises herbes " du pied des murs et des décombres, certaines ornementales, les salades des champs et autres légumes de ramassage utilisées comme remèdes."

extrait de :
http://www.educ-envir.org/~ree05/pole_jardins/journee_echanges_rencontres/
journee_salagon/compte%20rendu%20salagon.doc

Remarquez les bordures de planches, le treillage et le palissage conique.

 Reconstitution (voir Michel Cambornac) de l'Herbularius de l'abbaye de Fontevraud, au pied du cloître du prieuré Saint-Lazare, qui accueillait les lépreux au temps de son fondateur, Robert d'Arbrissel
   
1. 

2.

3.

 Jardin des simples de l'abbaye de Tusson  
 Une fontaine occupe traditionnellement la place centrale du jardin. Au fond, un petit portique donne accès au jardin des senteurs, encadré par une claie de chataîgnier à laquelle s'accroche rosiers et cardons et qui clôt chacun des jardins du monastère.  Jardin médicinal de l'abbaye de Vauclair comportant plus de deux cents espèces. Comme on le voit, sa reconstitution (1, 2) en a fait un jardin ouvert sur le paysage, et même intégré à lui, si l'on pense au jardin des plantes de l'ombre, créé dans les sous-bois (3).