ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE
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ABBAYE
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LE SCRIPTORIUM
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-LE COPISTE (4)---
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L'encre

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calame et encriers romains (à gauche, en métal, à droite, en verre aubergine, 1er siècle après J.C)

Le copiste trempe sa plume dans une encre généralement noire, atramentum scriptorum chez les Romains, ou plus simplement atramentum (de ater, noir), ou encore, incaustum ou encaustum (du grec encaustoz , "brûlé"), terme qui supplanta le précédent au moyen-âge et qui désignait à l'origine l'encre pourpre réservée aux empereurs et qui apparaît pour la première fois dans le De medicamentis de Marcellus (IVe siècle). Ce mot donnera encaust, en provençal, encaustique, encre, en français, ink en anglais, inchiostro, en italien, etc. Le terme tincta, toujours en latin, est quant à lui, peu fréquent et il a donné tinta en espagnol, et dinte, en allemand. Moins fréquentes sont les encres d'écriture de couleur brune. La bistre, utilisée à partir du XIVe siècle environ, est sans doute la plus connue de celles-ci. C'est une suie de cheminée broyée et additionnée de vinaigre puis, après ébullition, de gomme arabique. On obtenait ainsi des teintes allant du brun foncé au blond assez clair. Elle sera remplacée par la sépia vers le XVIIIe/XIXe siècles. La sépia est une couleur très brune extraite de la seiche (sepia officinalis), mais aussi d'autres céphalopodes dont le jus (naturellement noir) est extrait d'une poche à encre de l'animal, relié au système digestif. Cette poche est un diverticule dorsal du rectum et sécrète donc la sépia ou mélanine. Quand l'animal est menacé, ses deux sphincters puissants émettent un nuage noir qui fait écran entre lui et son prédateur, et qui lui permet de s'enfuir.

 
Sepia officinalis officinalis Linnaeus, 1758 ou Sepia officinalis hierredda Rang, 1837.

Nos copistes ont utilisé, puis sophistiqué des encres connues depuis les temps anciens, divisées schématiquement en deux groupes :
- Les encres carboniques, à base de noir de fumée issu des résidus de cire des chandelles, d'huile des lampes ou de la combustion de bois (charbon) plutôt résineux, de noyaux de fruits, de la vigne, qui fournit un noir bien bleuté. On utilisait aussi du charbon de terre, qui est un minerai carbonifère (houille) : c'est le ou noir d'anthracite ou noir d'Allemagne. On associe les poudres obtenues à un liant protéinique (blanc d’œuf, gélatine, colle de peau d'animaux) ou encore lipidique (huiles).
- Les encres métalliques, à base de sulfates1, de tanins (ou tannins) : tannates2de fer (encre ferro-tannique)-ou de cuivre (cupro-tannique) principalement. Dès le VIIe siècle environ, on va associer en Occident le métal (fer, surtout) et les tannins de la noix de galle pour constituer des encres métallo-galliques (généralement ferro-galliques), déjà connues des Grecs (la substance tannique associée peut être alors le bois d'aubépine, qui n'est pas le meilleur liant qui soit).
 

1. principalement le vitriol (vitriolo, vetriolo), vitriol vert du sulfate de fer ou vitriol bleu du sulfate de cuivre appelé aussi calcantum (Chalcanthum, calcathar), du grec calchanton, le cuivre), couperose (XIVe).
Ces sulfates produisent, sous l'action d'un agent tannant, un précipité foncé utilisé comme encre.
"La classe des vitriols (atramenta) comprend six espèces : celui qui sert à faire du noir (encre), le blanc, le calcantum, le calcande, le calcathar [colcothar, cf. prima materia et voie humide] et le surianum. Il y en a un jaune, employé par les orfèvres ; un vert mêlé de terre, employé par les mégissiers, etc."
http://hdelboy.club.fr/idee_alchimique.html

2. Obtenu par addition d'acide tannique, lui-même produit de tanins, polyphénols que l’on trouve dans de nombreux végétaux tels que les écorces d’arbres (chêne, acacia, etc...), les fruits (raisin, café, cacao...), et les feuilles de thé. Les tannins permettent aux peaux de devenir imputrescibles et, sous forme de précipités colorés, permettent à une substance chromatique d'être tinctoriale.


 
LES TANNINS

 
  NOM
ORIGINE   COMMENTAIRES
Noix de galle (galla

La noix de galle est une excroissance apparaissant sur le tissu végétal du chêne Quercus infectoria, provoquée de manière pathogène par la piqûre de l'insecte Cynips tinctoria, lorsque ce dernier dépose ses œufs dans le végétal .

Utilisé depuis l'antiquité.  

noix de galle du Quercus infectoria


La vélanede ou vallonée (vallonia, valonia, vallonea, valonea)

grec : velanitis


La vallonée est la cupule (qui entoure le gland) d'un chêne d'Europe Orientale, le chêne de Velani (Valoni) ou chêne à écailles, cette cupule contenant beaucoup de tannins. Ce chêne est une sous-espèce du Quercus ithaburensis Decne. 1835, à savoir le ssp macrolepis (Kotschy) Hedge et Yaltirik 1981, dont les syn. sont nombreux, entres autres :
- Q. aegilops L. ssp macrolepis A.Camus 1934
- Q. aegilops L. ssp vallonea (Kotschy) A.Camus 1934
- Q. graeca Kotschy 1859
- Q. vallonea Kotschy3 1858

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3 Quercus vallonea : On en extrait aussi une manne (latin : manna, mana). Ce très vieux terme était appliqué au jus de saccharine exsudé (puis séché) par les tiges de différents arbres saccharifères, la manne biblique étant la plus célèbre (Exode 16), créée sous l'action de la piqûre d'une cochenille (coccus manniparus) à travers l'écorce des rameaux du tamaris (tamarix mannifera Ehrb.) et non ceux du frêne, comme on le lit ici ou là :

 
" Aux mois de juillet et d'août, les pucerons attaquent l'écorce, durant la nuit. La sève, qui en sort en gouttelettes, se solidifie au petit matin et tombant sur le sol, présente des granulés très nourrissants [Les Bédouins l'utilisent comme le miel. NDE]. Les hébreux ont vu dans cette découverte une intervention miraculeuse de Yaveh, voulant nourrir son peuple dans sa marche vers la terre promise. 'Mann hou?" "Qu'est ce que c'est?" [A moins que ce ne soit un mot égyptien d'un produit similaire, "mannou". NDE] . C'est le pain que le Seigneur vous donne à manger" dit Moïse. N'empêche que la manne ne conservait pas et qu'il fallait la ramasser à nouveau chaque matin! "

Le myrobolan
(ou mirobolan, myrobolanus, mirobolanus)
proviendrait du grec" myron" (espèce de parfum) et "balanos" (gland).

"BUDDHA
Bronze. h. 35 cm
Birmanie. 18° siècle
Belle représentation classique du Buddha assis sur un haut socle lotiforme, tenant le bol de la main gauche, et le myrobolan de la main droite. Cette iconographie typiquement birmane fait référence à un épisode de la vie du buddha qui aurait reçu du dieu hindou Indra un myrobolan après son illumination. Patine oxydée".
extrait de :
http://www.aaoarts.com/cat23oct/AS3.html

Ce nom de myrobolan est donné communément au fruit de diverses espèces d'arbres d'Asie, principalement le Prunus cerasifera,4 de la famille des Rosaceae (Rosacées) dont on sèche la prune avant d'en extraire le tanin (utilisé aussi en tannerie et dans les pharmacopées). D'autres espèces sont utilisées dans le même but, citons :
- Terminalia bellirica Gaertn., Myrobalanus bellirica Gaertn., ou encore Terminalia chebula Retz (respectivement : myrobolan bellerique et myrobolan
chebule)5, de la famille des Combretaceae (Combrétacées)
- Terminalia arjuna6, Combrétacée
- Phyllanthus emblica7 (ou Emblica officinalis) Euphorbiaceae (Euphorbiacées)


Il aurait donnait, au XVIIe siècle son nom à "mirabolano", la mirabella,
du latin mirabilis ( belle à regarder), c'est notre mirabelle (d'autres parlent de Mirabeau...à suivre).

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Il faut attendre le XIIe siècle pour trouver une recette d'encre métallo-gallique en Occident, présentée par le moine Théophile, dans son traité De diversis artibus (1125).

Cette recette sera améliorée par la suite et, dès le XIIIe siècle, le copiste disposera d'encres sophistiquées dites complètes, car associant trois ingrédients dont on obtient une encre de bonne qualité : la noix de galle, le sulfate de fer ou de cuivre et, la gomme arabique, extraite par exsudation des acacias, pruniers, cerisiers ou autres lierres. Par ce procédé, le sulfate réagit aux substances actives de l’extrait végétal et produit un précipité noir dont on augmente la viscosité grâce au facteur liant de la gomme arabique. Ce procédé sera grosso modo utilisé jusqu'au XVIIe siècle.

Il arrive au copiste d'utiliser d'autres teintes que les noires ou les brunes, pour souligner en particulier des passages du texte ou des initiales. Pour cela le scribe, dès l'antiquité, utilise le rouge, qui donnera le mot latin rubrica (rubrique, du latin ruber ou rubrus : rouge ), qui désigne les têtes de chapitre ou de paragraphe exécutées dans cette couleur. Le copiste est parfois spécialisé dans ce genre de tâche, c'est le rubricateur. Il y a différentes manières d'obtenir une encre rouge : nous les détaillerons au chapitre de l'ENLUMINURE.

Au moyen-âge, l'encre se conserve très couramment dans une corne d'animal (de boeuf, généralement), "cornu cum incausto", figurée dans nombre d'enluminures, posée parfois dans un réceptacle, souvent dans la main inoccupée du copiste :

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1. Détail des Evangiles d'Ebbo (archevêque de Reims), vers 816-835, scriptorium de l'abbaye d'Hautvillers ? bibliothèque municipale d'Epernay.
2. Détail de saint Jérôme. Bible du XIIe s., Prologue de St Jérôme sur le Livre des Rois.
 

L'encrier avait aussi un nom particulier, formé sur atramentum (voir plus haut) : atramentarium. Il pouvait avoir aussi une forme de flacon, que l'on trouvait déjà dans l'antiquité (voir en exergue) et qui était fait de différentes matières : verre, terre cuite, bronze (doré ou argenté pour les plus luxueux). Cette forme sera de nouveau très présente vers la fin du moyen-âge et sera utilisée jusqu'à nos jours.
 
L'encre refroidissait vite pendant l'hiver et il fallait la réchauffer souvent. Le copiste qui travaillait dans un scriptorium sans aucune cheminée faisait, le moment utile, un petit tour au chauffoir ou en cuisine, ce qui réchauffait ses os transis dans le même temps. Par temps humide, les copistes s'aidaient de chaufferettes (epicausterium) pour sécher l'encre sur le parchemin.

 
http://shshunbo.en.alibaba.com/product/50034026/51270922/Cu_Salts/Copper_Sulfate/showimg.html
http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/d/d8/Copper_sulfate.jpg/585px-Copper_sulfate.jpg
 
 

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