ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE
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-ABBAYE
---- -BIBLIOTHEQUE
"Cornelius Nepos découvre dans une armoire
(armarium) l'Histoire de Troie de Darès le Phrygien
Benoît de Sainte-More, Roman de Troie.
Italie (Bologne ?), début du XIVe s.
Paris, BNF, ms. fr. 782, f. 2v."

extrait de http://www.irht.cnrs.fr/recherche/theme5_livre.htm


INTRODUCTION


 

"Claustrum sine armario, quasi castrum sine armamentario"

Un monastère sans bibliothèque, c'est comme une forteresse sans armurerie!

Vers 1170, lettre 18 de Geoffroy de Sainte-Barbe en Auge (dit aussi Godefroid de Breteuil). Vraisemblablement une expression proverbiale.


 

Nous savons que, depuis une très haute antiquité, des palais, des temples, des écoles, possédaient des bibliothèques dans le monde entier. A Loyang, en Chine, la bibliothèque impériale existait depuis la dynastie des Tchou (vers -770), selon Lao-Tseu, le grand Taoïste qui en fut le Bibliothécaire. On dit que Chéops, roi égyptien immortalisé au travers de sa fameuse pyramide, possédait une collection de livres dans sa "Maison des Ecrits", vers -2600 avant notre ère. Aménothep IV aura son "Espace des enregistrements" à Tell El-Amarna, vers -1350 avant notre ère, juste avant que Ramsès II ne possède son "Espace de la guérison de l'âme", bibliothèque philosophico-religieuse qui aurait contenu 20000 rouleaux aux alentours de -1300. En Mésopotamie, ce sont plutôt des tablettes que l'on retrouve dans les bibliothèques, que ce soit à Nippur (vers -2500) Tello (vers -2350) et ses 30000 tablettes en cunéiforme, ou la "Grande Maison des Tablettes" à Ur, en Chaldée (vers -2100). En Syrie, ce sont 2000 tablettes d'argile que l'on a trouvé à Ebla dans les archives d'un palais princier, et qui datent de -2300 environ. Toujours en Syrie, c'est au roi Nigmed que l'on doit l'essor de la bibliothèque d'Ugarit (auj. Ras-Shamra). En Assyrie, c'est Tiglath-Pileser Ier (Téglath-Phalasar, vers -1100) qui aurait fondé la première bibliothèque publique du monde, à dominante littéraire, dans la ville d'Assur. Quelques siècles plus tard, Assurbanipal, roi d'Assyrie, créait autour de -639, vers la fin de son règne, la bibliothèque de Ninive comportant environ 1500 titres. L'équivalence n'est pas aisée, en effet, car ce sont aussi des tablettes, et non des livres à proprement parler, que l'on y conservait. Le VIe siècle athénien doit être cité pour la fameuse bibliothèque publique de Pisistrate, mais laissons-en le récit romancé (mais très documenté) de l'abbé Barthélemy (1788), au chapitre 29 de son "Voyage du jeune Anacharsis en Grèce" :

"Pisistrate s’était fait, il y a deux siècles, une bibliothèque qu’il avait rendue publique, et qui fut ensuite enlevée par Xerxès, et transportée en Perse. De mon temps plusieurs Athéniens avaient des collections de livres. La plus considérable appartenait à Euclide. Il l’avait reçue de ses pères ; il méritait de la posséder, puisqu’il en connaissait le prix.
En y entrant, je frissonnai d’étonnement et de plaisir. Je me trouvais au milieu des plus beaux génies de la Grèce. Ils vivaient, ils respiraient dans leurs ouvrages rangés autour de moi. Leur silence même augmentait mon respect. L’assemblée de tous les souverains de la terre m’eût paru moins imposante. Quelques moments après je m’écriai : hélas, que de connaissances refusées aux Scythes ! Dans la suite j’ai dit plus d’une fois : que de connoissances inutiles aux hommes !
Je ne parlerai point ici de toutes les matières sur lesquelles on a tracé l’écriture. Les peaux de chèvre et de mouton, différentes espèces de toile furent successivement employées ; on a fait depuis usage du papier tissu des couches intérieures de la tige d’une plante qui croît dans les marais de l’Égypte, ou au milieu des eaux dormantes que le Nil laisse après son inondation. On en fait des rouleaux, à l’extrémité desquels est suspendue une étiquette contenant le titre du livre. L’écriture n’est tracée que sur une des faces de chaque rouleau ; et pour en faciliter la lecture, elle s’y trouve divisée en plusieurs compartiments ou pages (20).
Des copistes de profession passent leur vie à transcrire les ouvrages qui tombent entre leurs mains ; et d’autres particuliers, par le desir de s’instruire, se chargent du même soin. Démosthène me disait un jour, que pour se former le style, il avait huit fois transcrit de sa main l’histoire de Thucydide. Par là les exemplaires se multiplient ; mais à cause des frais de copie (21), ils ne sont jamais fort communs, et c’est ce qui fait que les lumières se répandent avec tant de lenteur. Un livre devient encore plus rare, lorsqu’il paroît dans un pays éloigné, et lorsqu’il traite de matières qui ne sont pas à la portée de tout le monde. J’ai vu Platon, malgré les correspondances qu’il entretenait en Italie, obtenir avec beaucoup de peine certains ouvrages de philosophie, et donner 100 mines (22) de trois petits traités de Philolaüs. Les libraires d’Athènes ne peuvent ni se donner les mêmes soins, ni faire de pareilles avances. Ils s’assortissent pour l’ordinaire en livres de pur agrément, dont ils envoient une partie dans les contrées voisines, et quelquefois même dans les colonies grecques établies sur les côtes du Pont-Euxin. La fureur d’écrire fournit sans cesse de nouveaux aliments à ce commerce. Les Grecs se sont exercés dans tous les genres de littérature. On en pourra juger par les diverses notices que je donnerai de la bibliothèque d’Euclide. (...) "

Environ deux siècles plus tard, naissait la plus fameuse bibliothèque antique d'Alexandrie (vers -295), conçue sur le modèle de celle du Lycée (Lyceum) d'Aristote à Athènes :

reconstitution de la bibliothèque d'Alexandrie.

Véritable "centre culturel" avant la lettre créé par les Ptolémées, où se croisaient savants, lettrés ou scribes, elle contiendra jusqu'à 500-700.000 rouleaux, correspondant grosso modo à 30.000 ouvrages. Ses collections furent abritées principalement dans le bâtiment du Museion (Mouseion, Mouséïon : litt. "la maison , le temple des muses", d'où vient notre "musée") d'abord, puis du Serapeion, "la maison , le temple de Sérapis", dieu gréco-égyptien, sorte de synthèse d'Apis et d'Osiris, au corps de lévrier. A la suite de la grande réalisation d'Alexandrie, les souverains d'Asie Mineure ont voulu, à leur tour, s'attirer prestige et gloire, à l'instar du Séleucide Antiochos III, fils de Séleucos Ier, avec la bibliothèque de sa capitale, Antioche ou, plus fameuse, celle de Pergame, créée par Attale Ier sous le règne de son fils Eumène II (-197 à -154), et dont une partie des 200 000 volumes permit de constituer le Serapeion d'Alexandrie :

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Bibliothèque attalide de Pergame, vestiges, reconstitution de J. Martin

"D'après les sources antiques, la bibliothèque de Pergame contenait 200.000 volumes; comme il semble impossible que les quatre salles de ce bâtiment aient pu contenir une telle quantité de livres, on en a déduit que la bibliothèque devait posséder des bâtiments annexes. A la suite d'une rivalité entre Pergame et Alexandrie, l'Egypte ayant interdit l'exportation de papyrus, les habitants de Pergame utilisèrent la peau tannée, bientôt baptisée pergamen (origine du mot parchemin), comme support d'écriture. Plus tard, Antoine offrit comme cadeau l'intégralité de la bibliothèque à Cléopâtre.
La bibliothèque était composée de quatre salles placées perpendiculairement à une galerie. La plus grande servait de salle de lecture. Ses murs portaient des étagères en bois où étaient rangés les livres; on en voit encore les trous de fixation. Contre le mur nord de la salle de lecture il y avait, posée sur un socle, une statue haute de 3,5 mètres représentant Athéna et qui, aujourd'hui, est exposée au musée de Berlin. Avec son socle la statue mesure 4,5 mètres de haut, ce qui montre que la salle de lecture devait avoir une hauteur approximative de 6 mètres"

extrait de http://perso.wanadoo.fr/spqr/perg_acr.htm

Les bibliothèques afférentes aux temples sont, de par le monde, plus importantes encore, et sont un des nombreux témoins, du Levant au Ponant, de la grande et longue emprise des religions sur les civilisations humaines. Les bibliothèques de nos monastères en témoignent largement, elles qui ont concentré en leur sein la culture de l'Occident durant plusieurs siècles.

De l'Asie, citons rapidement les bibliothèques bouddhiques des grottes de Hopei, en Chine, construite pendant les Six Dynasties (221-589), contenant des ouvrages des principales religions chinoises : Bouddhisme, Taoïsme et Confucianisme, ainsi que celle du monastère de Taxila (Takshasila), un peu à l'ouest d'Islamabaad, érigée à la période parthe (Ier siècle) ou kouchane (IIe siècle) de la cité, témoin de l'art du Gandhara de l' Inde du Nord-Ouest. En Egypte, on peut citer de nombreux exemples de bibliothèques religieuses. A l'instar des monastères chrétiens, les temples égyptiens pouvaient réserver aux livres un espace correspondant à leur usage. Ainsi, le temple de Thoth (Thot) à Hermopolis contenait une salle comme la "Salle des rouleaux" d'un temple d'Héliopolis, toutes deux étant des bibliothèques médicales, à l'image de celles que l'on peut trouver dans l'infirmerie d'un monastère chrétien. D'autres, comme celle du temple d'Horus à Edfou
, d'époque ptolémaïque (237-57 av. J.C), sont très petites et contiennent surtout des livres liturgiques ou théologiques, à l'usage exclusif des prêtres : De même, nos monastères pouvaient avoir disposer de telles collections conservées dans les sacristies des abbatiales, les cloîtres ou les réfectoires. Cela n'empêchait pas les Egyptiens de les appeler per medjat, "la maison des livres", comme nous l'apprend une inscription du même temple d' Horus, qui précise que "la maison des Livres fut approvisionnée par le pouvoir d'Horus-Râ", et comporte le catalogue des rouleaux de papyrus conservés, gravé dans la pierre. Les Egyptiens disposaient de différentes "maisons" de livres, telles la "maison de vie " (per ankh) ou"maison de l'enseignement" (per sebaït), la première ayant fait, semble t-il, office de scriptorium pour des étudiants confirmés, la seconde étant réservée plutôt à l'apprentissage des écoliers : c'est ce que nous pouvons trouver au noviciat, par exemple. Même type d'intégration à Khirbet Qumran (ou Qûmran), en Palestine (auj. Israël), avec l'organisation et la culture monastiques des Esséniens, qui ont précédé Jésus et qui nous ont légué un témoignage exceptionnel d'une bibliothèque que nous interrogerons au chapitre de la culture monastique.

 


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