ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE
 

-ABBAYE
-LE - BEATUS -DE -LIEBANA
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--L'ART DES BEATUS

--Les manuscrits- ( I )

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    NOM
    DU MANUSCRIT

    Ms : Numéro au catalogue
    A : Lieu de conservation
    S : scriptorium concerné

    D : date de création
    T : taille (h x l) en cm,
    C/300 = complet/ nombre de folios conservés
    I/03 = Incomplet/ nombre de folios conservés
    SM : sans miniatures
    NE : nombre d'enluminures

 COMMENTAIRES

Ce tableau récapitulatif de ces ouvrages ne se veut ni exhaustif, ni rigoureusement exact : le nombre des manuscrits complets ou incomplets du Beatus n'est pas connu avec une grande exactitude, leurs date et lieu d'élaboration font, pour un certain nombre encore, l'objet de discussions : c'est donc avec une certaine réserve que nous dirons que la présentation suit l'ordre chronologique de réalisation des manuscrits. Précisons enfin que les passages de la Bible utilisés ici sont extraits de la version de Louis Segond de 1910.

 

BEATUS DE SAN MILLAN
 

Ms : Vitrina 14-1
A : Madrid, Biblioteca Nacional
S : San Millán de la Cogolla? Valeránica?

D : v.920/930 ou 930/950
C : 143
NE / 27

Lutte de Jacob et de l'ange (Genèse 32)
      
    Au moment où l'historien allemand Peter K Klein* faisait une étude paléographique minutieuse du manuscrit qui fit autorité, il n'avait aucun doute sur la parenté de celui-ci avec les manuscrits contemporains exécutés au scriptorium du monastère de San Millán de la Cogolla. Pourtant, dautres études lui feront admettre, avec Mireille Mentré des similitudes avec les ouvrages produits au scriptorium du monastère de Valeránica (province de Castilla y León). Klein admet d'ailleurs des points communs entre les manuscrits produits alors dans les monastères de Navarre, d'Aragon, Castille ou de Leon avec les ouvrages andalous ou tolédans. Visiblement, il apparaît une évidente dynamique d'influence entre les scriptorias hispaniques du Nord au Sud, dont le relais semble être le royaume de Leon vers la fin du Xe siècle, qui aurait permis la diffusion des influences mozarabes dans tout le nord de la péninsule, en particulier les initiales, petites ou moyennes, aux motifs végétaux (palmettes, par exemple) et surtout, la gamme chromatique assez caractéristique, faite de tons jaunâtres, bleu ciel, rubis et vert grisâtres.
    Certains détails, comme l'absence d'entrelacs zoomorphes présents dans les manuscrits de la deuxième moitié du Xe siècle, indiquent que ce manuscrit a été exécutés plus tôt, même si les avis diffèrent un peu, poussant parfois jusqu'à une date de composition de 930/950 pour Klein. Il n'est donc pas du exclu que ce manuscrit soit le premier manuscrit complet que nous connaissons du Beatus de Liébana.

    L'ornementation du manuscrit, écrit en écriture wisigothique sur deux colonnes, comprend 27 illustrations de style mozarabe, dont les caractétistiques principales ici touchent les personnages :
    - Visages plutôt ronds
    - Yeux grands ouverts en amande et aux petites pupilles
    - Sourcils formés de deux traits qui occupent toute la largeur du front
    - Plis caractéristiques du vêtement
     

    * Klein : Der ältere Beatus-Kodex vitr 14-1 der Biblioteca Nazional zu Madrid, Hildesheim, 1976, p. 253.

 
 BEATUS DE
SAN MIGUEL DE ESCALADA
ou
BEATUS DE MAGIO

--- (premier Beatus Morgan)

Ms : M.644
A : New-York, Pierpont Morgan Library
S : Escalada ou Tábara

D : 926/945 ou 958/962
T : 38,7 x 28,5
C / 300
NE / 89
 


Folio 207, détail des vingt-quatre vieillards, Apocalypse chapitre 19, verset 4 : "Et les vingt-quatre vieillards et les quatre êtres vivants se prosternèrent et adorèrent Dieu assis sur le trône, en disant: Amen! Alléluia!"

     
    Le manuscrit est écrit en minuscule wisigothique, sur deux colonnes de 34-35 lignes. Certains historiens, dont Williams, pensent que le premier Beatus Morgan est le manuscrit complet le plus ancien connu des Beatus. Leur interprétation s'appuie sur deux points essentiels :

    Le travail décoratif similaire : les Moralia in Job enluminés par Florentius mais complété par Maius, considéré souvent comme le "pictor" du premier Beatus Morgan, qui ne peut l'avoir exécuté après 945, date supposée de sa mort. D'autre part la date cryptée du colophon dit à peu près ceci : "Ce livre a été achevé en l'an deux fois deux, trois fois trois cents et trois fois deux fois dix" : DUO GEMINA. TER TERNA CENTIES EF TER DIANA BINA ERA. L'équation simple donne 964, auxquels on doit retirer 38, car règne encore en Espagne (et ce jusqu'au XIVe-XVe s selon les régions) l'ère d'Espagne, (dont l'origine est obscure), en avance sur l'ère chrétienne de trente-huit ans.

    Les chercheurs espagnols, Camón Aznar et Díaz y Díaz en tête, se sont penchés attentivement sur le problème de datation et leur interprétation d'une double lecture du colophon de gauche à droite et inversement sont très intéressants. De la première manière, on tombe sur une date de l'ère chrétienne et de la seconde, une autre de l'ère hégirienne, traduisant l'influence islamique chez les artistes mozarabes. Selon leur interprétation, l'équation susdite donnerait l'an 958 ou 962 de l'ère chrétienne, cette dernière étant plus majoritairement privilégiée et correspondant à l'an 350 du calendrier musulman et à l'an mil de l'ancienne ère d'Espagne.

     
    C'est au moine Maius (Magio, Magius) que l'abbé du monastère San Miguel de Escalada (environs de Leon, province de León) aurait confié la direction de ce travail, à moins qu'il n'ait été lui-même l'abbé, comme le laisserait penser la formule du colophon "l'abbé du Victorieux", ce victorieux étant saint Michel, patron du monastère. D'autres chercheurs y voient plutôt le nom de Victor et, n'ayant trouvé aucun abbé correspondant, ont déclaré que l'ouvrage ne pouvait avoir exécuté à Escalada, auquel on ne peut rattacher aucun manuscrit connu, mais plutôt à Tábara (voir page suivante), dont le colophon du Beatus cite le nom de Maius, associé à Emetrius, pour la réalisation du livre.

    Par ailleurs, et pour revenir au Beato de Magio, María de los Angeles Sepúlveda Gonzáles, de l'université Complutense de Madrid, suggère une lecture du colophon qui ramène Maius à son sens qualificatif : l'aîné, le plus grand, rapporté à Recesvintus (comme le roi wisigoth : Recesvinto, Recesvinte, Receswinthe), dont le grand R majuscule (coin gauche en haut du folio) serait l'initiale : . Ceci expliquerait l'abréviation Recevt p : Recesvintus pictor. Connu comme abbé en 540, l'abbé Recesvinto était assez âgé en 562, et il n'est donc pas étonnant qu'il mourût six ans après l'élaboration de son Beatus. Le "maius" serait à mettre alors en parallèle avec le "pusillus" (très petit) du texte, où l'abbé ne fait que respecter l'humilité évangélique.
     
    Précisons que l'on sait grosso modo comment est passé de mains en mains le Beatus depuis 1566, au décès de l'archevêque de Valence, Martín Perez de Ayala, qui légua le manuscrit à l'ordre militaire de Saint Jacques, précisément au grand maître de l'ordre, à Uclés, près de Cuenca. Il y fut conservé jusqu'en 1837, année principale de la desamortización. Vers 1840, un négociant, Roberto Frasineli, acheta le manuscrit en échange d'une vieille montre en argent. Plus tard, en 1847, Francique Michel l'a vendu pour 1.040 francs. Un peu plus tard, un collectionneur de manuscrits ans scrupules, Guillermo Libri, acheta le manuscrit pour 1.500 francs, et avant 1852, il l'avait vendu pour 12.500 francs au comte d'Ashburnham.
    En mai 1897, Henry Yates Thompson (1838-1928), célèbre collectionneur de manuscrits à peintures londonien, acheta le manuscrit le 3 juin 1919. Ce lot 21 fut acquis par un intermédiaire, Quartich, pour le compte de Jack Pierpont Morgan Jr (Junior : le jeune), propriétaire de la Pierpont Morgan Library, fondée en 1913 par son père, JP Morgan Sr (senior : l'ancien, le vieux).


BEATUS - DE - L'ESCURIAL

(BEATO DEL ESCORIAL)

Ms : Ms. II. 5.
A : San Lorenzo de El Escorial (45 km au NO de Madrid), Biblioteca del monasterio San Lorenzo El Real de El Escorial (1575) : Bibliothèque du monastère royal de Saint-Laurent de l'Escurial, fondé par Philippe II (Felipe II) en 1563 et réalisé par l'architecte Juan de Herrera.
S : San Millán de la Cogolla

D : v. 950 (IXe s ?)
T : 33,5 x 22,5
C / 151
NE / 52

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Adam et Eve et le serpent

A gauche, le MS II. 5. Comparez le même thème, à droite, dans un autre manuscrit émilien très similaire, de la R.B d'El Escorial lui aussi (Codex Aemilianensis, ms d I. I. , f. 17).
 

      
    Mentré ne le fait pas franchir le cap du Xe siècle, comme plusieurs spécialistes avant elle, mais Díaz y Díaz place sa création vers l'an mil. Cela n'empêche pas d'autres auteurs d'y voir vu une oeuvre du IXe siècle, comme Guillermo Antolín (Catálogo de los Códices latinos de la Real Biblioteca de El Escorial, Madrid, 1910) et Pérez Bayer (Regiae Bibliothecae Escurialensis manuscriptorum Codicum et Hispanorum quotquot in ea hoc anno MDCCLXII inventi fuere) qui s'appuient sur la comparaison de celle-ci avec deux codex riojanais (riojanos, de La Rioja) que sont les codex Albeldense et Emilianense datés avec précision de 976 et 992. Les deux historiens pensent le Beatus comme un travail de facture plus grossière que les premiers et lui donne la plus grande ancienneté. José Domínguez Bordona ne cache pas, lui, que c'est l'exemplaire des Beatus qu'il trouve le moins agréable (Exposición de códices miniados españoles, Madrid 1929), et Camón Aznar va jusqu'à dire qu'il représente " une régression barbarisante et rurale en comparaison des modèles antérieurs" ! (El arte en los Beatos y el Códice de Gerona, en Beato de Liébana, Comentario al Apocalipsis I. Madrid, 1975). Mieux compris peut-être aujourd'hui, on lui trouve autant de qualités esthétiques que chez d'autres manuscrits comparables, certains même, à l'image de Mireille Mentré, lui conférant une grande originalité, et plus encore, le posant en jalon décisif dans la recherche de l'autonomie de la miniature par rapport au texte.

    C'est Gonzalo Menéndez Pidal qui attribua le premier ce codex à l'atelier de San Millán (Mozárabes y asturianos en la cultura de la Alta Edad Media, B.A.H. XCCCIV, 1954) et cette opinion a été conforté par maints auteurs, même s'il n'y a toujours pas de certitude à ce sujet. Díaz y Díaz, par exemple, trouve indéniable la ressemblanee de son écriture avec celle du Codex Conciliorum, le deuxième corpus de gloses du fameux codex Aemilianense 46 (voir abbaye de San Millan de la Cogolla), qui tourne autour de la vie conciliaire.

    Le style du Beatus de l'Escorial est avant tout mozarabe : prééminence des vues de face du visage, absence de relations spatio-temporelles ou de volumes : le corps des personnages est aplati, les proportions n'étant pas respectées. Il faut noter aussi le côté figé de l'action et des postures répétitives, mais aussi une inadéquation entre les vêtements et le corps qu'ils vêtent, aux formes cachées par leurs aspects plats, au contraire de ce qui sera pratiqué dans l'art roman.

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