ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE
 

 

-ABEILLE
LES ABEILLES ET LES HOMMES

L'ANTIQUITE ( 1 )
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    document annexe :
    MIEL ET SUCRE--

 

Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines dirigé par Daremberg et Saglio, par Charles Daremberg; Edmont Saglio, Edmond Pottier, Georges Louis Lafaye (1877-1919, 10 vol.)
 

"SACCHARON (Σάχcαρν ). Dans l'alimentation et la médecine des Grecs et des Romains, le miel [MEL] tenait lieu de sucre : c'est seulement au moyen âge et par l'intermédiaire des Arabes que l'usage du sucre de canne s'est répandu en Occident.1 On peut se demander cependant si les anciens n'ont pas connu ce produit. Les roseaux du genre saccharum officinarum, d'où on le tire, ont pour pays d'origine soit l'Asie méridionale, Inde ou Cochinchine, soit l'Archipel malais 2 ; le nom qu'ils portent et les noms mêmes du sucre dans les différentes langues modernes dérivent d'un mot sanscrit, çarkara, prâkrit, sakhara. Or, un certain nombre de textes littéraires grecs et latins* nous parlent d'une sorte de miel que les Indiens extrayaient des roseaux et quelques-uns d'entre eux appellent ce miel saccharon 3. D'après Strabon, « on dit » eϊrhce que les Indiens peuvent se passer d'abeilles ; avec le fruit de certains roseaux ils composent un miel qui enivre4. Strabon n'est ici que l'écho de Néarque ; la première connaissance scientifique de l'Inde et la première mention du miel de roseaux remontent à l'expédition d'Alexandre, 327 av. .l.-C. De la même source proviennent les informations de Théophraste sur le µέli calάµinon, qu'il oppose aux deux autres espèces de miel, celui que distillent les abeilles et celui qui tombe du ciel sous forme de rosée5. Ératosthène, cité par Strabon, note que dans l'Inde quelques racines de roseaux sont douces au goût naturellement et aussi après avoir été cuites, jύsei caί έjήsei6. Varron assure que le suc de ces racines rivalise avec le miel7. Lucain sait que les Indiens boivent le jus très doux des roseaux8. Sénèque, comme Strabon, rapporte un on-dit : on trouverait du miel sur les feuilles des roseaux de l'Inde, soit qu'il tombe du ciel comme une rosée, soit que le suc de la plante lui donne naissance9. Le mot saccharon ne fait son apparition qu'au premier siècle de notre ère, vers l'année 75 ap. J.-C., dans trois oeuvres à peu près contemporaines, l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien, le Traité de la matière médicale de Dioscoride et le Périple de la mer Érythrée. Selon Pline, le saccharon existe en Arabie, mais celui de l'Inde est plus estimé ; c'est un miel qu'on recueille sur les roseaux ; il est blanc comme la gomme et se brise sous la dent; ses morceaux ne sont jamais plus gros qu'une noisette ; il ne sert qu'en médecine10 ; d'ailleurs, dans aucune des recettes médicales qu'énumère l'Histoire naturelle, il n'est question du sucre, tandis qu'au contraire, le nom du miel y revient constamment. A la même époque et d'après les mêmes sources, Dioscoride, sans connaître Pline, répète ses indications, avec cette différence toutefois qu'il compare la consistance du sάcCaron à la consistance du sel au lieu de comparer sa couleur à. celle de la gomme ; il ajoute quelques détails sur ses propriétés thérapeutiques11. L'auteur anonyme du Périple est plus bref : il se borne à nommer le meli calάminon, appelé aussi sάcCari, parmi les produits exportés de Barygaza, le grand port commerçant de la côte nord-ouest de l'Inde12. Les textes postérieurs n'ajoutent presque rien à ceux du Ier siècle13. Galien décrit, en s'inspirant de Dioscoride, les vertus médicales du sάcCaron, qui a l'avantage, dit-il, de ne pas exciter la soif1414. Solin rappelle simplement qu'on extrait des racines de roseaux indiens une liqueur douce comme le miel15. Alexandre d'Aphrodisias16 et Oribase17 répètent, en les abrégeant, Dioscoride et Galien. Isidore de Séville s'associe aux paroles de Varron sur le suc exprimé de roseaux de l'Inde18, et dans un autre passage il prétend que les feuilles de ces plantes sécrètent du miel19. Paul d'Égine* le dernier des médecins grecs, consacre quelques lignes au saccharon, à ses caractères et à ses propriétés20 ; il raconte ailleurs qu'Archigénès, qui vivait au Ier siècle, ordonnait contre les enrouements le sel indien, άlςindicόn, incolore, semblable extérieurement au sel ordinaire, mais avec la saveur du miel ; on le prenait en morceaux de la grosseur d'une lentille ou d'un haricot21 . Il résulte de l'examen des textes que les Grecs et les Romains ont été renseignés sur cette matière très tard et très mal ; si Néarque avait appris, dès le IVe siècle avant notre ère, l'existence du meli calάminon, le nom du sάcCaron n'est prononcé pour la première fois en Occident que quatre cent cinquante ans après l'expédition d'Alexandre. La plupart des auteurs anciens qui traitent du miel de roseaux n'ont fait que copier presque textuellement leurs devanciers; les témoignages qu'ils nous transmettent se ramènent, en dernière analyse, aux récits plus ou moins véridiques de quelques voyageurs ou marchands venus de l'Inde ; comme l'Arabie était l'étape obligée du commerce de l'Inde avec l'Europe, on a pu croire qu'elle produisait, elle aussi, du saccharon. Celui-ci n'a jamais été employé couramment dans le monde gréco-romain ; les médecins eux-mêmes ne semblent guère le connaître que de réputation. L'insuffisance et l'obscurité des documents ont fait naître chez les modernes d'assez vives controverses, depuis Manardus22 et Saumaise23, jusqu'à Sprengel24, Lassen25 et E.-O. von Lippmann26. Le meli calάminon, est-il identique au sάcCaron ? L'un de ces deux termes, sinon tous les deux, désignait-il notre sucre de canne ? Certaines contradictions sont fort singulières. Les auteurs grecs et latins considèrent le miel de roseaux ou le saccharon, tantôt comme un fruit, tantôt comme un extrait des racines, tantôt encore comme une sécrétion des feuilles ; dans quelques textes il s'agit d'un liquide, succus, humor; dans les autres, d'un corps solide, analogue au miel par son goût, au sel ou à la gomme par son aspect. Peut-être convient-il de distinguer, avec Isidore de Séville, deux choses tout à fait différentes, qu'on aura confondues à distance, parce qu'elles provenaient également des roseaux de l'Inde : d'une part, le meli calάminon, suc liquide, doux et sucré, sortant par exsudation de la tige et des feuilles de plusieurs espèces de bambous et que l'on faisait réduire par cuisson pour l'employer; d'autre part, le véritable saccharon, qui resta ignoré des peuples occidentaux jusqu'au temps de Pline et de Dioscoride, et qui était une substance solide, une concrétion friable ; la plante qui produisait le saccharon paraît correspondre au tabaschir des Indiens, bambusa arundinacea des naturalistes modernes : les nodosités du tabaschir contiennent, en effet, une fine poussière arénacée que les indigènes recueillent et utilisent ; il est vrai que celle-ci, par elle-même, n'a pas de saveur sucrée, mais il est possible qu'on y ajoutât divers ingrédients destinés à l'adoucir. L'άlςç indicόn d'Isidore de Séville n'est sans doute qu'une variété de saccharon. En tout cas, ni du sucre de canne. D'après les recherches Ies plus récentes, la fabrication du sucre en morceaux n'a commencé dans l'Inde qu'entre le Ier et le VIe siècle après notre ère, et plus près de la seconde époque que de la première1 ; les plus anciennes mentions authentiques que nous en possédions se trouvent dans les chroniqueurs byzantins Théophane2 et Cedrenus3, à propos des événements de l'année 627, et, vers 640, dans la Géographie de Moïse de Khorène4. MAURICE BESNIER.

Notes 1
Notes 2

* LATINS : "La Grèce hellénistique connut, par ses voyageurs, la canne a sucre, qu’elle appelait roseau de douceur11. Dioscoride (II, 104) et Pline l’Ancien (Histoire Naturelle XII, 32) ont même connu le sucre en morceaux, qu’on employait parfois en médecine. Il faudra toutefois attendre le 7ème s. pour que ce produit se diffuse réellement jusqu’en Occident, et que son emploi s’introduise dans la cuisine. La première grande cargaison de sucre atteignit l’Europe via Venise en 996."

* PAUL D'EGINE (Paulus Aegineta, vers 620-690) : son ouvrage le plus célèbre est Epitomae medicae (Epitomé : Abrégé de médecine), où un chapitre est réservé au miel dans son premier livre, réservé à l'alimentation.
 
extrait de : http://64.233.183.104/search?q=cache:kHZThNLDXCwJ:shs.epfl.ch/pdf/mediterranee/med3e_ete2.pdf
+mythologie+du+miel+enfance+divine&hl=fr&ct=clnk&cd=1&gl=fr
 

"...les Vénitiens visitaient régulièrement les ports égyptiens et syriens
et la première mention de sucre à Venise date de la fin du Xe siècle
4. Quelques témoignages épars du XIIe siècle attestent la présence du sucre en Europe méditerranéenne. Dans les tarifs de péage de Narbonne de 1153, le sucre figure parmi les produits importés5. Toujours au XIIe
siècle, dans son roman Le Chevalier au Lion, Chrétien de Troyes semble connaître le sucre : s’il ne parle pas d’un usage précis, il emploie le terme, à côté du miel, dans ses métaphores pour exprimer le doux par opposition à l’amer
6. Vers 1200, Jean de Garlande énumère, dans son Dictionarius, des articles de consommation courante, des épices et des produits rares tels que le sucre, qu’on trouve chez les apothicaires parisiens7. Il est question d’un produit exotique et très peu connu même dans les milieux les plus aisés. Son importance ne devient réelle qu’à la suite de la traduction d’oeuvres médicales et pharmaceutiques dans les écoles de médecine de Salerne, de Tolède et de Montpellier. C’est à ce moment précis que la demande de sucre, ainsi que d’autres ingrédients employés dans la pharmacopée, se met à augmenter de façon constante, au point de devenir indispensable à la guérison de nombreuses maladies.
Jusqu’à la fin du XIVe siècle, le sucre est considéré comme une épice au même titre que le poivre, le gingembre ou la cannelle, comptés eux aussi parmi les produits de luxe réclamés par les hôtels aristocratiques et les cours princières et royales. Ils proviennent tous d’Orient par le biais des négociants des grandes villes marchandes
8. Ce statut d’épice est bien perceptible à travers la correspondance échangée entre les facteurs de la compagnie de Francesco di Marco Datini, qui étaient installés dans les grandes villes méditerranéennes9.

À la fin du XIVe siècle, la route du sucre se dissocie progressivement de celle des épices, du moins en Méditerranée orientale. L’essor de nouveaux centres de production dans le bassin occidental achève cette distinction du stade de l’épice à celui d’un produit de consommation, certes encore cher, mais qui circule sur une plus grande échelle.
(...)
 
NOTES :
 
4 E. O. von Lippmann, Geschichte des Zuckers seit den ältesten Zeiten bis zum Beginn der Rünbenzucker
Fabrikation, Leipzig, 1890, p. 288 ; J. Weisberg, Abrégé de l’histoire du sucre, Paris, 1893, p. 11 ; P. Dorveaux,
Le sucre au Moyen Âge, Paris, 1911, p. 3
5 Les autorités municipales percevaient un droit de péage, dit leude, de huit deniers par quintal s’il arrivait par
mer et de quatorze deniers s’il arrivait par terre : M. Germain, Inventaire des archives communales. Annexes de
la série AA, Narbonne, 1871, p. 6 ; E. O. von Lippmann, Geschichte des Zuckers, op. cit., p. 297 ; P. Dorveaux,
Le sucre au Moyen Âge, op. cit., p. 3-4.
6 Chrétien de Troyes, Romans, Paris, 1994, (Le Chevalier au Lion, p. 705-936), p. 755, ligne 1360 :
Mais de son çucre et de ses breches. (trad.) Mais avec son sucre et son rayon de miel.
p. 757, lignes 1405-1406 :
L’ECONOMIE DU LUXE EN FRANCE ET EN ITALIE Comité franco-italien d’histoire économique
(AFHE-SISE) ; Lille 4-5 mai 2007
Et met le chieucre avec le fiel,
Et destempre suyë au miel.
Traduction : Qui met ensemble sucre et fiel,
et qui délaie de la suie dans le miel.
7 P. Dorveaux, Le sucre au Moyen Âge, op. cit., p. 4.
8 W. Heyd, Histoire du commerce du Levant au Moyen Âge, trad. F. Raynaud, Leipzig, 1885-1886, 2 vols ;
E. Ashtor, Levant trade in the later Middle Ages, Princeton-New Jersey, 1983
9 Les collaborateurs du marchand de Prato rendent compte de manière régulière des mouvements des prix des
épices ; les lettres échangées entre Pise et Venise sont particulièrement importantes et comportent une masse
d’informations sur le trafic des épices et du sucre : cf. Archivio di Stato di Prato, Carteggio [désormais AS.
Prato] n° 548-550."

extrait de :
http://lodel.ehess.fr/afhe/docannexe.php?id=447

 
"Au XIVème siècle, le sucre est largement employé dans les cuisines anglaise (il est présent dans 60 % des recettes de certains ouvrages) et italienne. On le trouve aussi au sud de la France, mais très peu au nord de la Loire, sauf dans les recettes destinées aux convalescents. De nature modérément chaude et humide, il est supposé leur convenir.
Au XVème, son usage se répand encore en Angleterre et en Italie (où, encore une fois sous l'influence ibérique, il est parfois employé dans un plat, puis saupoudré avec de la cannelle dessus). Son usage se répand en France, où il entre dans la composition de la sauce cameline, mais sa présence dans un plat peut conduire à lui donner un nom particulier, montrant que ce n'est pas un condiment commun : ainsi en est-il du "pigeon au sucre".

extrait de :
http://www.la-cour-des-saveurs.com/conference.htm