Henri Ier, fils de Robert II le Pieux. Enluminure des Grandes Chroniques de France de l'abbaye Saint-Denis, XIIIe siècle, BNF.

ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE

ABBAYE

 

 

Le Temps des premiers Capétiens

De Hugues Capet à Philippe Ier

987-1108


INTRODUCTION


La Francie traverse l'an mil avec les premiers Capétiens, et nous avons déjà évoqué cette période fantasmatique, où on ne connut pas véritablement les peurs millénaristes qui nous ont été contées à partir du XVIe siècle. Par contre, et incontestablement, c'est une période où, depuis les Carolingiens déjà et, petit à petit, avec une montée en puissance, l'emprise de l'Eglise s'accentue en occident chrétien. Concernant notre sujet, nous avons vu que les abbayes s'enrichissaient, avec les dîmes imposées aux paysans, avec les nombreux dons offerts en pénitence par les nobles coupables d'infraction (mais aussi en vue de leur salut), et que ce phénomène s'était développé avec la Paix et la Trêve de Dieu. Nous avons vu comment les réformes ont dynamisé de nouveau les monastères, permettant d'établir durablement la règle bénédictine et de faire des communautés réformées, des promoteurs de pureté, de sainteté, tout en développant une liturgie de plus en plus somptuaire, en rapport avec l'augmentation constante des fidèles et l'idée que l'Eglise de Dieu se doit d'en refléter la divine splendeur. Les premiers Capétiens, au contraire des Carolingiens, n'imposent pas de marque indélébile sur leur temps, tant au niveau politique que religieux. Avec ces premiers Capétiens, nous entrons pourtant dans un nouvel âge artistique et culturel, qui sera appelé roman, mais il serait vain de demeurer en Francie avec eux pour être témoin de cette naissance. Le foisonnement en la matière se découvre plutôt ailleurs. Alors, après une évocation d'Hugues Capet et de ses premiers descendants, c'est en Normandie, que nous irons d'abord, dans la patrie que s'est choisie le barbare Rollon.


HUGUES CAPET


Le surnom de Capet fait sa première apparition vers 1030 dans la chronique d’Adémar de Chabanne, il s’applique alors au père d’Hugues Capet, le duc Hugues Ier. Il ne qualifie Hugues Capet qu’au début du XIIe siècle. Les annales de l'abbaye Saint-Médard de Soissons mentionnent l'élection (987) du fondateur des Capétiens, Hugues "surnommé Chapez" et le terme "capétien" apparaît pour la première fois chez le chroniqueur anglais Raoul de Diceto († 1202). Les révolutionnaires le donnèrent par dérision à Louis XVI détrôné (le « citoyen Capet ») et à sa famille. Rappelons qu'Hugues Capet (940 - 996), sera duc de Francie (960-987), puis roi de Francie (987-996).


Au XIIe siècle, la chape étant devenue un chaperon ou chapeau, Hugues Capet fut considéré comme "l’homme au chapeau", et la légende, appuyée sur cette fausse étymologie, naquit, selon laquelle il n’avait pas pu ou voulu recevoir la couronne.

Il n'y a pas que le nom du fondateur de la dynastie capétienne qui se rattache aux abbayes, il y a aussi son élection royale. En effet, une légende (parmi d'autres) affirmait, probablement conçue pour légitimer l'accession de la nouvelle dynastie, que si Hugues rendait la dépouille mortelle de saint Valéry (Walaric, + vers 620) à l'abbaye du saint, il serait roi et ses descendants le seraient pendant sept générations :

Saint Valéy apparaissant à Hugues Capet, FR 2813, fol. 261, Grandes Chroniques de France, Paris, XIVe siècle (60 x 65 mm) , BNF.

 
Ce sera en effet une belle lignée et c'est à partir d'Hugues Capet que quasiment tous les capétiens seront enterrés à l'abbaye de Saint-Denis.
 

Hugues Capet n'a pas laissé de nombreuses traces de son passage : Un diplôme d'Hugues Capet confirmant les biens de l'abbaye de Tournus en 989 est un document rare, parmi les douze seulement connus en France signés de ce premier roi capétien, comme l'ordonnance royale datée de l'année de son avènement, qui décrète que
"quiconque voudra porter la qualité de comte, vicomte, baron ou châtelain sera obligé d'avoir ville-close (de remparts), abbaye ou prieuré conventuel, aumônerie ou maladrerie, foire ou marché".
Il n'est pas plus puissant que le duc d'Aquitaine, Guillaume, mais son pouvoir va au-delà du domaine royal stricto sensu, par le biais des sièges épiscopaux (une vingtaine) et des abbayes royales prestigieuses telles Saint-Denis, Saint-Martin de Tours ou Fleury-sur-Loire, ralliées aux Capétiens, sans compter Saint-Germain-des-Prés, Saint-Maur-des-Fossés et quelques autres. Hugues lui-même est abbé laïque et fondateur d'une abbaye, Saint Magloire à Paris, vers 975. Cependant, après Bourges, vers le midi, il ne possède rien, et aucune abbaye n'aurait l'idée de demander sa protection.
 

Le premier Capétien et sa famille interviennent activement (et autoritairement) dans le domaine religieux : fondations d'abbayes, exemptions (parfois, confiscations), réforme de la règle (imposition de la stricte observance à Saint-Denis et Saint-Riquier), élection des évêques :

- En 990, le frère d'Hugues, Eudes Henri, duc de Bourgogne, nomme Guillaume de Volpiano, abbé de Saint Bénigne de Dijon.
 
- La reine, Adélaïde, fonde à la même époque la collégiale Saint-Frambourg à Senlis (Oise) pour conserver les reliques de saint Frambourg, et reconsruit le monastère bénédictin d'Argenteuil, détruit par les invasions normandes. Tous deux sont cités par le moine de Fleury Helgaud, au début du XIe siècle.
 
- Le roi réunit un concile national à l'abbaye Saint-Basle de Verzy, qui dégrade Arnoul et lui substitue, en juin 991 et à la grande colère du pape Jean XV, Gerbert d'Aurillac, le futur pape Sylvestre II, sans doute l'un des hommes les plus érudits de son temps :

"Gerbert, après avoir hésité un moment, se rallia à Hugues Capet et redevint le secrétaire du roi. Ce dernier ayant triomphé des Carolingiens, décide de faire juger l'archevêque félon. Il en avise le pape qui ne répond pas et convoque alors un concile national à l'abbaye de S.-Basle de Verzy, près de Reims. Gerbert joua un grand rôle dans la préparation de ce concile en fournissant aux treize évêques qui représentaient les quatre provinces ecclésiastiques des documents nécessaires à l'accusation. Il inspira certainement le discours de son ami Arnoul, évêque d'Orléans, qui non seulement accusa Arnoul de trahison, mais fit le procès de la papauté qui n'avait pas répondu au roi. Alors que Abbon*, abbé de Fleury-sur-Loire, défendait l'accusé et estimait que pour juger un archevêque il fallait en appeler au pape, l'évêque d'Orléans et, derrière lui, Gerbert estimèrent que le pape était incompétent et que c'était une affaire intérieure à l'Eglise de France. Après la condamnation d'Arnoul de Reims, le roi décida de le remplacer par Gerbert. Le nouvel élu dut alors faire une profession de foi car, semble-t-il, certains se méfiaient de l' orthodoxie de ce « philosophe »."

extrait de : http://www-droit.u-clermont1.fr/Recherche/CentresRecherche/Histoire/gerhma/GerbertdAurillac.htm
* Vers 994, il écrit à son souverain, et lui évoque un souvenir de sa jeunesse, qui s'est vraisemblablement déroulé entre 970 et 975 : " A propos de la fin du monde, j'entendis prêcher au peuple dans une église à Paris que l'Antéchrist viendrait à la fin de l'An Mil et que le Jugement général suivrait de peu. Je combattis vigoureusement cette opinion, en m'appuyant sur les Evangiles, l'Apocalypse et le Livre de Daniel. " (NDE)
 

- Hugues Capet se dessaisit de son patronat sur Marmoutier et Saint-Maur-des-Fossés au profit, respectivement, des comtes de Blois et de Paris, Eudes et Bouchard, sous réserve de réformer ces monastères. Ce que s'appliqueront à faire ces deux princes ennemis, qui s'accorderont pourtant à demander le secours de Maïeul qui réformera aussi Saint-Germain d'Auxerre. : rien d'étonnant cependant, puisque "toute la Gaule, dit-on, connaît la bonne réputation de l'abbé de Cluny". Plus tard Hugues Capet pensera lui-même à Maïeul pour réformer l'abbaye royale de Saint-Denis. Maïeul se rendra bien à Saint-Denis mais, faisant étape au prieuré de Souvigny, il y rendit l'âme le 11 mai 994.
 
- Le roi octroie en 994 à l'abbé Heldric de Saint Germain d'Auxerre, l'élection de l'abbé par les seuls moines, et non plus par l'évêque d'Auxerre.
 
- Il enlève Abbeville aux moines, la fait fortifier et la donne à sa fille lors de son mariage avec Hugues de Ponthieu qui l'a aidé à accéder au trône. Abbeville n'était à l'origine qu'une petite île habitée par des pêcheurs. Abbatis villa (le domaine de l'abbé), apparaît pour la première fois dans un dénombrement de l'abbaye de Saint-Riquier en 881.
 

Robert II le Pieux (972-1031)

Il est le fils d'Hugues Capet, auquel il sera associé au trône dès l'âge de 15 ans. Il sera éduqué à Reims par le moine Gerbert et Richer (auteur des Historiae, avant 998), le cultivé moine de Saint-Rémi de Reims, le dit lettré. Qui a lu "l'Epitome Vitae Roberti Regis," oeuvre panégyrique du moine de l'abbaye de
Fleury, Helgaud, aumônier et ami de Robert, ne peut douter de la sainteté du Roi Très-Chrétien de l'an mil.

Le roi Robert participe activement aux réformes des monastères, demandant à Guillaume de Volpiano, en 1014, de réformer l'abbaye Saint-Germain-des-Prés. Son ami Maïeul, l'abbé de Cluny, réformera à sa demande le monastère de Saint-Maur-des-Fossés et mourra juste avant d'avoir pu entamer la réforme de l'abbaye Saint-Denis. C'est son successeur, Odilon, qui obtiendra en 1024 du pape Jean XIX que l'exemption déjà obtenue pour la maison mère, soit étendue aux prieurés et aux filles de Cluny. A la tête, désormais, d'une seigneurie puissante, Odilon tient tête aux seigneurs du Mâconnais, obtenant du roi non seulement la confirmation du don de Paray le Monial faite à Cluny par le comte de Chalon (voir abbatiat d'Odilon de Cluny), mais aussi l'interdiction pour ses voisins de fortifier leurs châteaux, ce qui les protègerait de leurs déprédations.

Si la plupart de ces réformes sont une entreprise de restauration de l'idéal bénédictin, d'autres réformes commencent de poindre, animées par la tentative de concilier érémitisme et cénobitisme : voir Le renouveau de l'érémitisme.

Pieux, sans doute, mais agissant comme son père de manière autoritaire dans les affaires de l'Eglise, souvent en faveur des moines, d'ailleurs. A Orléans, par exemple, alors que le siège épiscopal est vacant, suite au décès de Foulques, et que deux candidats se disputent la place, le roi impose Thierry, moine de l'abbaye Saint-Pierre-le-Vif de Sens, démarche jugée sévèrement par le chanoine Fulbert de Chartres, dont la propre succession va être l'objet d'un conflit entre le roi et les chanoines, qui s'en plaindront vainement à Odilon, l'abbé de Cluny, ainsi qu'à l'archevêque de Tours.

Pieux, sans doute, ce roi qui participe à la paix de Dieu en réunissant, en 1024, une grande assemblée d'archevêques, d'évêques, d'abbés et de comtes à Héry-en-Auxerrois au cours de laquelle, il lance "une Paix de Dieu" pour tout le royaume. Il "édicte de nombreux "diplômes" pour arbitrer ces différents ; l'un d'eux, rédigé en 1027 en faveur de l'Abbé Guillaume, contraint un certain Pipinel Garin (ou Guérin) possédant une "vicairie" sur Antony et ses dépendances (dont "Villa Vedrarias") à comparaître devant le monarque pour rendre compte de ses agissements et à restituer à l'Abbaye de Saint-Germain la justice d'Antony qu'il avait usurpée et dont il profitait pour accabler les habitants de mauvais traitements. Un autre diplôme, exposé actuellement aux Archives Nationales (exposition sur l'an Mil, jusqu'au 3 avril), rédigé en 1030 au Palais d'Etampes, nous raconte la suite : Garin obéit, ne put se justifier, mais mourut avant d'avoir pu affronter les habitants dans un "duel judiciaire". Sa veuve et héritière Herséda (Hersinde) continua à agir comme son mari, puis renonça assez vite en faveur du roi, qui donna alors la vicairie à l'un de ses chevaliers nommé Warin ; celui-ci ne se conduisit pas mieux que son prédécesseur et, sur la plainte d'Adraud, nouvel Abbé de Saint-Germain, le roi Robert décida que sa vicairie se réduirait... aux terrains cultivés entourant le village, le reste revenant aux religieux."

Henri Ier (1031- 1060) le fils de Robert, qui lui a succédé sur le trône, est très mal connu. Raoul Glaber dit de lui qu'il est "vif d'esprit et actif de corps", traits corroborés par d'autres moines. Son fils, Philippe Ier (1060-1108), semble très autoritaire et pourra dédicacer l'abbatiale de Saint-Martin des Champs en 1067 (occupée par des chanoines réguliers*) et être par la suite accusé de simonie par ses pillages, en particulier à l'abbaye de Fécamp, vraisemblablement ici parce que son abbé, Guillaume du Ros, aurait dénoncé le remariage royal, Philippe s'étant marié avec Bertrade de Montfort, qu'il avait enlevé à son mari Foulques le Réchin, comte d'Anjou, alors qu'il était encore uni légalement à Berthe de Hollande, qu'il avait répudiée sans raison.

* Les réformes monastiques du milieu du XIe siècle ont entraîné des réformes du clergé séculier, qui suivait la règle de Chrodegang, observance qui s'était relâchée depuis l'époque Carolingienne. A cette époque, en effet, bien des chanoines séculiers, organisés en chapitres cathédraux autour de l'évêque, sont mariés et possèdent leur propre prébende. Les conciles romains de 1059 et 1063 réclament de ces clercs qu'ils reviennent à une vie communautaire semblable à celles des moines, plus conformes à l'Ecriture. Au cours du siècle, différents chanoines adoptent une règle plus sévère, dite de saint Augustin. Certains ne seront plus regroupés en chapitres mais formeront une Collégiale, mouvement qui se développera beaucoup au XIIe siècle.

Ainsi que nous l'avons dit en préambule, ces tout premiers Capétiens ne sont pas représentatifs de l'éclosion artistique qui se prépare dans les premières manifestations de l'art roman. Avant de continuer plus avant dans le temps au royaume de France, il nous sera profitable de visiter certains de ses voisins, pour la plupart autrement plus puissants et dynamiques que lui, en premier lieu la Normandie ducale, héritière des terribles Vikings, puis l'Aquitaine.

Enfin, le règne de Philippe Ier voit la naissance de congrégations monastiques d'importance, dans l'ordre chronologique d'apparition :

- 1074 : Grandmontains (Grandmont, communautés d'ermites)
- 1084 : Cartusiens (Chartreux, communautés d'ermites)
- 1090 : Congrégation d'Arrouaise (voir Saint-Ruf)
- 1094 : Congrégation de Marbach (voir Saint-Ruf)
- 1095 : Antonins (de Saint Antoine, Ordre Hospitalier)
- 1098 : CISTERCIENS (Cîteaux, Bénédictins réformés)
- 1101 : Fontevristes (Fontevraud, ordre monastique de monastères mixtes : hommes-femmes).

Sources :

http://membres.tripod.fr/~apsall/Histoire/les_capetiens.htm
http://fr.encyclopedia.yahoo.com/articles/a/a0000110_p0.html
http://www.mairie-athis-mons.fr/histoire/histoire.htm
http://les35clochers.multimania.com/doncharleschauv.html
http://www.bnf.fr/enluminures/images/jpeg/i1_0063.jpg (henri Ier)
http://www.histoire-en-ligne.com/article.php3?id_article=454 (Louis VI)
http://www.bnf.fr/enluminures/images/jpeg/i2_0004.jpg (valéry et hugues capet)

 


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