ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE

-ABBAYE
  -Lieux et vie de l'abbaye
 
 
L'habit du moine
Du XIe siècle à nos jours

 

 
 
 
"Le XIIe siècle, porté aux innovations en toute chose, détruisit l'unité de règle dans la profession monastique. Une infinité d'ordres s'établirent en concurrence avec celui de Saint-Benoît. A côté des moines contemplateurs, il y eut des moines qui vivaient du produit de leur travail, des moines pasteurs, des moines laboureurs, des moines tisserands, des moines soldats. Autant d'instituts nouveaux, autant de costumes différant par la coupe, par l'étoffe, par la couleur.
Il ne faut pas juger de ces habillements d'après la forme qu'ils ont aujourd'hui dans ceux de ces ordres qui ont subsisté. Les coupes ne sont plus les mêmes, et souvent le fond a été changé. L'imagerie du temps nous fait voir des moines habillés en vert et en bleu foncé. Toutefois, le noir, le gris et le blanc sont déjà les couleurs des ordres supérieurs. Le noir appartenait aux bénédictins ; le blanc aux chartreux
note 1, aux prémontrés, aux augustins. Les cisterciens, qui avaient pour principe de ne pas s'habiller d'étoffes teintes, employèrent des lainages dans leur couleur naturelle, soit le blanc, soit le gris résultant du mélange de la laine des moutons blancs et noirs. Bientôt ils laissèrent le gris à leurs novices, et le blanc fut, chez eux, la couleur des profès. Ils furent appelés « les moines blancs » par excellence, tandis que les bénédictins étaient « les moines noirs ».
 
 
note 1 : Description de la Chartreuse, fondée par saint Bruno vers 1090.
 
"Treize moines vivent là. (...) Chacun a sa propre cellule sur le pourtour du cloître, lieu où il travaille, dort et prend ses repas. Tous les dimanches, le procureur leur remet leurs provisions, c'est-à-dire du pain et des légumes, à l'aide de quoi chacun cuit chez soi une espèce de potée, toujours la même.
Ils ne parlent pour ainsi dire pas ; s'ils ont besoin de quelque chose, c'est par signes qu'ils la requièrent. Ils portent un cilice à même la peau ; le reste de leur vêtement est des plus légers. Mais bien qu'ils s'abaissent à une pauvreté multiforme, ils ne laissent pas d'assembler une très riche bibliothèque ; en effet, moins ils ont l'abondance du pain matériel ici-bas, plus travaillent-ils à la sueur de leur front pour acquérir cette nourriture qui ne meurt pas, mais qui subsiste éternellement."
extrait de Guibert de Nogent, "Autobiographie", écrite aux environs de 1120-1130.
Cité dans Berstein et Milza, "Histoire Seconde", éditions Hatier, 1996, p.81

La première pièce du costume des bénédictins était, la gonne ou étamine, tunique longue à manches étroites, qui se portait sur la peau pendant l'été, mais qui, dans la saison rigoureuse, se superposait à un pelisson (pelisse) sans manches, de même longueur qu'elle.

Venait ensuite le scapulaire ou chaperon monastique (...) Par-dessus le scapulaire, le froc, vaste robe, alors fendue dans les deux tiers de sa longueur sur les deux côtés, et avec des attaches sur les fentes, qui empêchaient les pans de voltiger. Par-dessus encore, la chape, l'habit qui protégeait tous les autres, comme il est dit dans le Moinage de Guillaume d'Orange :
1i abis qui tos les autres garde.

Le froc était l'attribut du moine qui avait prononcé ses vœux. Le convers devait se contenter d'un scapulaire pourvu de plus d'ampleur que celui du profès (...) Au treizième siècle, coule et froc étaient sans cesse confondus. Le pape Clément V décida en 1312 qu'on entendrait par coule la robe de moine fendue sur les côtés, et par froc la robe à larges manches.

Le poème que nous venons de citer, d'accord avec les statuts de l'abbaye de Cluny, nous fait connaître l'habillement que cachaient les robes. Il consistait en braies, trébus ou fourreaux de jambes (les trabuques de l'époque barbare), chaussons et bottes. A la place des bottes, la règle de Cluny mentionne des souliers à courroies de cuir. Le même document ajoute un chapeau et des gants* pour les religieux qui allaient en voyage.
 
Ces messieurs de Cluny étaient regardés par leurs rivaux comme des sybarites. Il n'y avait pas de tissus trop fins pour eux, et l'on trouvait que leur vœu de renoncement ne s'accordait guère avec tout ce qu'ils prenaient de précautions contre la pluie et la froidure. Aussi, le principe des nouvelles règles fut-il l'austérité. Le fondateur de Cîteaux proscrivit du costume de ses moines les chapes, les pelissons, les braies, les bottes et les chapeaux. Leurs gonnes ne purent pas être faites d'étamine; une robe à larges manches et capuchon, la coule, remplaça pour eux le scapulaire et le froc, et ils n'eurent aux jambes que des chausses et des souliers découverts. Pour comble de perfection, les soins de la propreté, observés dans l'ordre de Cluny, furent bannis des maisons de Cîteaux. Un auteur de l'ordre raconte l'anecdote d'un dévot chevalier qui, après avoir hésité longtemps à prendre l'habit de cistercien à cause de la vermine qu'il entretenait, surmonta enfin ce scrupule, et se trouva, malgré les poux, le plus heureux des humains.

Le costume des religieuses se composait généralement de robes talaires, d'une chape et d'un voile. Elles gardaient encore leurs cheveux, mais avec défense de les tortiller, de les natter ni de les laisser paraître. C'est encore l'austérité cistercienne qui paraît avoir suggéré le sacrifice complet de ce bel ornement; et peu à peu, abattre la chevelure devint l'article essentiel de la profession dans tous les ordres."

Quicherat, Histoire du costume en France, (1875)

Le texte de Quicherat n'est pas pas parfait et, concernant ici les Cisterciens, on établira les petites corrections qui s'imposent, à l'aide d'un texte cistercien contemporain :
 
"A l'époque de Bernard de Clairvaux l'habit du moine cistercien se limitait à une tunique, une coule, un scapulaire, une ceinture, des bas et des souliers, le tout "simple et peu coûteux". La tunique était une chemise en laine, solide, couvrant le corps des épaules jusqu'aux chevilles et dotée de longues manches et d'un large col. La coule est l'habit de dessus traditionnel du moine. Les coules des cisterciens étaient plus petites que celles des bénédictins, et apparemment moins chaudes, car la Summa Cartae caritatis interdit formellement les coules fourrées à l'extérieur. La tunique et la coule étaient en laine écrue et non teinte, d'où le surnom des cisterciens : "moines blancs". Le scapulaire était un long tablier noir dont les pans, devant comme derrière, arrivaient légèrement au-dessus du genou. Il servait à protéger la tunique lorsque le moine s'affairait aux travaux manuels. La tunique, la coule et le scapulaire étaient tenus à la taille par une ceinture ou une bande d'étoffe. Pour se protéger les pieds, les moines avaient des bas en laine et deux paires de chaussures, une pour le jour et une autre pour la nuit.

Les informations dont nous disposons sur l'habit des moniales et des frères convers sont moins précises. Pour ce qui est des derniers, ils devaient former un tableau plus hétéroclite que les moines. Les Usus conversorum, qui datent du milieu du XIIe siècle, parlent de cape, tunique, bas, bottes, chaussons et d'une sorte de petite coule couvrant les épaules et la poitrine. Il semble qu'à cette époque la coule et la cape des frères convers étaient d'une couleur plus foncée que celles des moines (gris foncé ou brun), distinction renforcée au cours des siècles suivants où le brun fut réservé aux frères convers et le blanc aux moines.

Les moniales cisterciennes se caractérisaient par le port du voile : noir pour les religieuses professes et blanc pour les novices et les soeurs converses. Tout comme les moines, les religieuses portaient une tunique en laine recouverte d'un scapulaire, selon les circonstances, mais elles n'avaient pas de coule, signe extérieur distinctif des frères. Elles portaient en revanche un long manteau, ou cape, sur leur tunique, qui ressemblait à une coule sans capuchon."

extrait de : http://www.cister.net/disc_vie.htm

"Le manuscrit du Hortus deliciarum (...) représentait en peinture toutes les religieuses composant la communauté du monastère de Sainte-Odile en Alsace, sous le gouvernement de Herrade de Landsberg, en 1185. C'était des chanoinesses qu'on suppose avoir été soumises à la règle de Saint-Augustin. Leurs cheveux étaient cachés par une sorte de turban en toile blanche sur lequel était posé un voile de laine rouge cramoisi. Les robes de dessus étaient taillées à la mode du temps, avec de larges manches. Leur couleur ainsi que celle des chapes présentaient de grandes variétés. Il y en avait de violettes, de brunes, de bleues, et d'autres encore en vert foncé. Les robes de dessous étaient blanches, comme les chainses qui figuraient dans la toilette des femmes du monde :
Religieuse du monastère Sainte-Odile. (Engelhardt, Herrad von Lansdperg).
 
(...) Le costume des nonnes se complète au XIIIe siècle. Toutes ont la guimpe sous le voile, et sous la guimpe, la tête rase ; la plupart adoptent la coule ou scapulaire, que les femmes n'avaient jamais portée."
Quicherat, Histoire du costume en France, (1875)
 

 
* Les gants sont devenus pièce liturgique au XIe siècle, et plusieurs églises en possèdent, qui avaient été retrouvés dans des cercueils d'abbés ou d'évêques. Ajoutons que, lorsque les princes disposaient des bénéfices ecclésiastiques, c'est par une paire de gants qu'ils en investissaient les prélats. Ce symbole acquit par là un certain prestige dans l'Eglise.

 
A compter du XIIIe siècle, la chape bénédictine fut remplacée par la chape des dominicains, qu'adoptèrent plusieurs ordres religieux. C'était, dit Quicherat, "une cloche étroite fendue sur le devant à partir du creux de l'estomac. Avec ce vêtement, il n'y avait pas moyen de se draper ni d'affecter des airs mondains. Il était considéré comme le manteau le plus convenable à la profession ecclésiastique;" A la chape, s'ajoutait par temps pluvieux un capuchon, la coule.
 
Le costume des moines dans les abbayes ne changera pratiquement pas jusqu'au XXe siècle. De nos jours, si la coule reste le vêtement principal du moine, il est des établissements monastiques qui permettent un habit civil en dehors des activités purement religieuses, et quelques unes, beaucoup plus rares, ont abandonné le costume monastique :

" Dans les Constitutions on pouvait établir comme Constitution ce qui semblait essentiel et mettre dans les statuts accompagnant cette Constitution ce qui semblait susceptible d'évoluer et de varier d'une communauté à l'autre. Dans la Constitution, nous parlons de l'habit (vestis) cistercien, et dans le statut qui suit nous parlons du vêtement (vestitus). Ce choix de mots a été étudié et tout à fait délibéré.
Seule la coule est considérée comme habit monastique, et la coule cistercienne est de couleur blanche. Étant le signe de la consécration monastique, elle est donnée au moment de la profession solennelle, qui est, à proprement parler, la consécration monastique. Comme la même coule blanche, de forme à peu près identique, est portée dans tout l'Ordre, on dit qu'elle est aussi le signe de l'unité de tout l'Ordre. On ne trouve pas ici ni une théologie de l'habit, ni de grandes considérations mystiques. On trouve simplement la mention de ce qu'est l'habit monastique et ce qu'il signifie.
Dans le statut, on mentionne la tunique blanche, le scapulaire noire et la centure de cuir, mais on les mentionne comme vestitus, le vêtement que porte les moines, et on mentionne que ce vêtement peut être adapté selon les conditions locales. Ce n'est pas l'habit monastique, ce nom étant réservé à la coule. En certains monastères le vêtement que porte les moines est un pantalon gris et une blouse à capuchon. En d'autres endroits, en dehors des Offices liturgiques où l'on porte la coule blanche, on s'habille simplement comme les hommes de la région. Tout cela est légitime et prévu par cette Constitution. L'important est que tout, dans chaque communauté, se fasse dans l'harmonie et l'unité.
Enfin, le statut suivant décrit le vêtement que portent les profès temporaires et les novices et qui n'est pas non plus l'"habit monastique" à proprement parler.
On a évité soigneusement de parler dans les Constitutions de la façon de s'habiller lorsqu'on doit aller en voyage à l'extérieur du monastère. On a voulu laisser la liberté nécessaire pour permettre à chaque communauté de s'adapter aux situations locales. En certains pays et en certaines circonstances, il est normal de voyager vêtu de la même façon qu'au monastère. Ailleurs cela semblerait tout simplement bizarre. L'important est d'être vêtu de façon sobre, digne et simple.
Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit sur le sens de l'habit monastique en commentant la Règle. Dans une situation de "chrétienté" l'habit monastique avait une valeur de symbole, rappelant aux gens les valeurs vécues par ceux qui le portaient. Dans les sociétés laïques comme sont les nôtres aujourd'hui, il n'a plus du tout cette valeur de symbole, mais simplement un signe qui nous "identifie" comme appartenant à une certaine association, comme le ferait une badge. Il n'y a pas à le regretter. Cela crée simplement pour tous ceux qui ont à quitter le monastère pour une raison ou pour une autre des exigences beaucoup plus grande. Nous devons témoigner des valeurs spirituelles et monastiques auxquelles nous nous sommes engagées, non pas par un signe distinctif, mais bien par la qualité de notre comportement.
Armand VEILLEUX " , Cistercien, abbé de Scourmont, Ordre Cistercien de la Stricte Observance (OCSO)

extrait de :
http://users.skynet.be/bs775533/Armand/chap_2003/chapitre-030119-fra.htm