"Il est clair aux esprits clairvoyants
que la providence Divine a si bien pourvu certains hommes riches
que, par le moyen de leurs biens temporaires, s'ils les emploient
bien, ils peuvent faire en sorte de mériter la récompense
éternelle. En vérité, en ce qui concerne
cette chose, la parole divine montrant la chose possible et la
conseillant au même moment : "la richesse d'un
homme est le rachat de son âme" (Prov. XIII).
Nous, Guillaume, Comte et duc par la grâce de Dieu, soupesant
consciencieusement cela et désirant pourvoir à
mon propre salut tandis que je le peux encore, avons considéré
qu'il est recommandable, qui plus est au plus haut point nécessaire,
que des biens temporels qui m'ont été conférés,
je me dois d'en céder une petite partie pour le gain de
mon âme. Je fais cela, en vérité, afin qu'ayant
ainsi augmenté mes richesses, je ne puisse pas, par accident,
être finalement accusé d'avoir tout dépensé
pour le soin de ma personne, mais plutôt pour pouvoir me
réjouir, quand le destin finalement m'arrachera toutes
choses, d'avoir réservé quelque chose pour moi-même.
Cette finalité, en effet, ne semble pas accessible d'une
autre manière plus appropriée que celle qui vient
d'être dite, selon l'enseignement du Christ : "je
me ferai pauvre pour mes amis" (Luc XVI, 9), et en faisant
un acte non pas provisoire mais durable, je m'oblige à
prendre à ma charge une communauté de moines. Et
c'est ma foi, c'est mon espoir que, malgré mon incapacité
à mépriser toutes choses, tout en recevant le mépris
de ce monde, ce que j'estime être juste, je puisse recevoir
la récompense du juste. Ainsi, qu'il soit connu de tous
ceux qui vivent dans l'unité de la foi et qui attendent
la miséricorde du Christ, et à ceux qui leur succéderont
et qui continueront d'exister jusqu'à la fin du monde,
que, pour l'amour de Dieu et de notre Sauveur Jésus-Christ,
je remets de ma propre autorité aux saints apôtres
Pierre et Paul les biens dont je dispose, à savoir la
ville de Cluny, avec son courtil, sa manse dominicale et son
église en l'honneur de sainte Marie mère de Dieu
et de saint Pierre, le prince des apôtres, tout ceci avec
ce qui s'y rapporte, les villae, bien sûr, les chapelles,
les serfs des deux sexes, les vignes, les champs, les prés,
les bois, les milieux aquatiques et leurs évacuations,
les moulins, les produits et les revenus, ce qui est cultivé
et ce qui ne l'est pas : toutes ces choses dans leur intégralité.
Ces choses appartiennent ou dépendent du pays de Mâcon,
chacune entourée de ses propres bornes. Je donne toutes
ces choses auxdits apôtres, moi Guillaume, et ma femme
Ingelberge, premièrement pour l'amour de Dieu, puis pour
mon âme. Pour mon Seigneur Roi Eudes, ou mon père
et mère; pour moi et ma femme (pour le salut de nos âmes
et corps) et tout autant pour Ava, qui m'a laissé ces
choses par sa volonté; pour les âmes de nos frères
et surs et neveux et de tous nos parents des deux sexes;
pour nos fidèles qui se mettent à notre service;
pour l'avancement, aussi et l'intégrité de la religion
catholique. Finalement, puisque nous tous, Chrétiens,
sommes unis par un devoir commun d'amour et la foi, faisons de
cette donation un bien de tous, à savoir les orthodoxes
des temps passés, présents ou futurs. Cependant,
je donne ces choses à la condition qu'il soit érigé
à Cluny un monastère régulier en l'honneur
des apôtres saints Pierre et Paul, et que là se
réunissent des moines vivant sous la règle de saint
Benoît possédant, détenant et gouvernant
à perpétuité les choses concédées,
de sorte que cette maison devienne la véritable demeure
de la prière, emplie sans cesse de vux fidèles
et de supplications pieuses et qu'on y recherche à jamais
avec ardeur les merveilles du dialogue avec le Ciel, ainsi qu'on
y adresse assidûment prières, supplications et exhortations
à Dieu, autant pour moi que pour tous, selon l'ordre dont
il a été fait mention ci-dessus. Et laissez les
moines eux-mêmes, ensemble avec tous les biens susmentionnés,
être sous le pouvoir et l'autorité de l'abbé
Bernon, qui, tant qu'il vivra, les dirigera avec constance, selon
ses connaissances et ses capacités. Mais après
sa mort, ces mêmes moines auront le pouvoir et l'autorisation
d'élire quelqu'un de leur ordre qu'il leur plaira comme
abbé et recteur, suivant la volonté de Dieu et
la règle promulguée par saint Benoît, dont
la sagesse veut que personne, ni par notre intervention, ni par
aucun autre pouvoir, ne peut être empêché
de procéder à une élection purement canonique.
Tous les cinq ans, lesdits moines paieront à Rome dix
sous à l'église apostolique romaine pour la fourniture
des leurs éclairages, et ils auront la protection desdits
apôtre et du pontife romain. Ces moines peuvent de tout
leur cur et de toute leur âme bâtir le lieu
susdit. Nous voulons, de surcroît, qu'en notre temps et
en celui de nos successeurs, selon les opportunités et
les possibilités offertes par ce lieu, qu'il y soit fait
quotidiennement des actions miséricordieuses envers les
pauvres, les nécessiteux, les étrangers et les
pèlerins. Il nous a plu aussi d'insérer dans cet
acte qu'à compter de ce jour, lesdits moines ne soient
aucunement soumis ni à notre joug, ni à celui de
nos parents, du pouvoir royal ou d'une quelconque puissance terrestre.
Et, par Dieu, par ses saints, et par le jour redoutable du jugement,
j'exhorte et j'adjure qu'aucun prince séculier, ni comte,
ni évêque, ni même le pontife romain, n'envahisse
les biens de ces serviteurs de Dieu, ou ne les confisque, ou
n'en soustraie quelque chose, ou bien ne les échange,
ne les donne en bénéfice à quiconque ou
leur impose la volonté de quelques uns . Que de tels actes
impurs soient encore plus proscrits quand ils sont le fait d'hommes
violents et mauvais, je vous le conjure, saints apôtres,
princes glorieux de ce monde, Pierre et Paul et vous, ô
suprême Pontife, que, par l'autorité canonique et
apostolique vous avez reçue de Dieu, vous excluiez de
la communion de la Sainte Église de Dieu et de la vie
éternelle les voleurs et les envahisseurs de ces biens
que je vous donne d'un cur joyeux et d'une ferme volonté,
pour que vous soyez les protecteurs et les gardiens dudit lieu
de Cluny et des serviteurs de Dieu qui y habitent, et de toutes
ses possessions, par la clémence et la miséricorde
du plus saint Rédempteur. Si quelqu'un, fût-il voisin
ou étranger et quelque fût sa condition, tente d'user,
par une quelconque ruse, d'actes de violence contraire au don
que nous avons ordonné d'être écrit pour
l'amour de Dieu tout-puissant et pour la vénération
des chefs des apôtres Pierre et Paul (Ce que ne permet
pas le Ciel, ce que la pitié de Dieu et la protection
des Apôtres empêcheront, je pense, de se produire),
qu'on le laisse d'abord encourir la colère du Dieu tout-puissant.
Laissez Dieu le faire disparaître du monde des Vivants
et ôter son nom du Livre de Vie, et laissez ce qu'il lui
reste rejoindre ceux qui ont dit au Seigneur Dieu : Eloignez-vous
de nous; Et avec Dathan et Abiron, pour qui la terre, ouvrant
ses mâchoires, les engloutit en enfer toujours vivant,
laissez le encourir la damnation éternelle. Et, étant
fait compagnon de Judas, laissez-le être poussé
en bas vers des tortures éternelles et laissez le paraître
aux yeux des humains passer impunément dans ce monde,
qu'il sente dans sa propre chair les tourments de sa future damnation,
partageant le double malheur avec Héliodore et Antioche,
l'une échappant de justesse à la mort par la pointe
et l'autre qui, terrassée par la volonté divine,
ses membres dispersés et putréfiés par la
vermine, périt le plus misérablement. Laissez -le
partager ce sacrilège avec d'autres qui recherchent à
piller les trésors de la maison de Dieu et laissez-le,
à moins qu'il se mette à ouvrir les yeux, être
comme un ennemi, comme quelqu'un qui refuse l'entrée dans
le Paradis béni, gardé par celui qui détient
les clefs de l'Eglise et rejoint au dernier jour par saint Paul,
dont il aurait pu obtenir la médiation. Cependant, tant
qu'existeront les lois temporelles, il sera nécessaire
que la justice le contraigne de payer cent livres d'or à
ceux à qui il a nui. Sa tentative d'agression ayant été
contrée, ne sera suivi d'aucun effet. Mais la validité
de cette charte de donation, revêtue de toute l'autorité,
elle, demeurera inviolée et inattaquable, tout cela ensemble,
tel qu'il a été dit.
Fait publiquement dans la cité
de Bourges. Moi, Guillaume, j'ai ordonné que cela soit
fait, rédigé et ratifié de ma main."
( Signé par Ingelberge et un
certain nombre d'évêques et de nobles)
Détail de la Charte de la
fondation de Cluny : signatures de Wilelmus (William, Guillaume)
et d'Ingelberge (Ingelberga, Engelberge), son épouse.
Sources :
Texte de la charte de fondation de
Cluny, figurant dans l'édition de A. Bruel du "Recueil
des Chartes de L'Abbaye de Cluny". Paris, 1876, traduit
du latin en anglais par Ernest F. Henderson, traduction parue
dans le "Select Historical Documents of the Middle Ages",
(Londres, George Bell et fils, 1910), 329-333. Traduction française
de l'encyclopédiste.