ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE

-ABBAYE
  -Les Arts au temps des Carolingiens
 
---------Architecture : Centula, Corvey------


 
Centula

Cette recherche nouvelle d'équilibre se retrouve à l'abbaye de Centule (Centula, puis Sanctus Richarius : Saint-Riquier), dont l'abbatiale, de 84 m de long environ, est élevée entre 790 et 799 par l'abbé Angilbert, comte de Ponthieu, secrétaire et gendre officieux de Charlemagne (il était le compagnon de sa fille Berthe, dont il eut un fils). C'est Angilbert lui-même, dit-on qui en aurait conçu le plan, dans un but délibéré de créer un modèle du genre.

 

 Abbatiale carolingienne de Centula (Saint-Riquier)
   
 
 En haut à gauche, plan de l'abbaye, ci-contre en haut et à gauche, gravure du XVIIe siècle représentant l'abbaye vers 799
   
 Saint Augustin, De Doctrina christiana vers 800. Saint-Riquier (Somme), entre 789-814. : dédicace d’Angilbert, abbé de Saint-Riquier à l’empereur Louis le Pieux. Paris, BnF.
 

 
De nouveau, comme à Saint-Denis, le westwerk est monumental, en forme de tour, lui-même encadré de deux hautes tours possédant un escalier, dont une porte une inscription qu'Angilbert a fait exécuter : "Célébration de Dieu, du Christ Sauveur et de Charlemagne, son vicaire ici-bas". Ce westwerk fut probablement un modèle pour celui de l'abbatiale de Corvey (vers 880), que nous allons voir plus loin.

A Centula, on n'a aucune certitude sur l'agencement intérieur du massif occidental, mais la plupart des chercheurs pensent qu'un autel et des fonts baptismaux auraient été placés au-dessus d'une vaste crypte, au plus haut niveau de laquelle se serait tenu l'autel du Sauveur, muni de deux tribunes latérales et une chapelle réservée à l'empereur.
 
Le portique voûté de l'entrée abrite le corps du fondateur de la basilique. Le narthex avec, nous l'avons évoqué, l'autel du Sauveur, possède des colonnes et constitue le principal espace liturgique (processions, congrégations), qui commémore la vie et la passion du Christ. De fait, c'est un second transept qui est créé là, occidental celui-là, tous deux étant surmontés de flèches jumelles, qui rappelle encore à Conant l'abbatiale Saint-Martin-de-Tours.
 
Quant au thème de Jésus Sauveur, décliné à plusieurs, reprises, nous venons de le voir, est peut-être une réaction de l'Eglise au culte grandissant des saints et autres faiseurs de miracles, qui commençaient d'occulter dangereusement la vénération du Sauveur lui-même. S'agissant des thèmes, évoquons aussi celui, omniprésent de la Trinité, que ce soit dans la composition tripartite des ciboires (attachés aux autels de saint Riquier, du Sauveur et de la Vierge), des trois tours principales (deux de l'abbatiale, une de l'église de la Vierge), trois tombeaux des saint patrons.
 
Si de nombreuses questions demeurent quant à l'agencement du westwerk, on connaît beaucoup plus précisément l'architecture de l'église elle-même, dont l'architecture avait été ici entièrement tournée vers la liturgie : cela a été brillamment démontré par Carol Heitz, et nous allons donner maintenant un aperçu de ce sujet.
 
L'architecture subordonnée à la commémoration perpétuelle et ordonnée des grands moments de la vie rédemptrice du Christ , voilà une des choses majeures officialisées par les différents synodes dirigés par Benoît d'Aniane en 816-817 et qui a accéléré le développement des pratiques cultuelles, avec un calendrier fourni des célébrations, des processions, des offices, monastiques ou non.
 
C'est tout cela que Centula, en précurseur, mettait en pratique, alors que les abbatiales de Fulda ou de Lorsch resteraient encore dans la lignée romaine, avec un plan basilical encore très étiré, sans transept, interdisant les mouvements complexes physiques ou symboliques inaugurés à Saint-Riquier.
 
Ainsi, on trouvait à Centula douze autels. L'autel de la Croix est placé au centre de la nef centrale et les nefs latérales en possèdent chacune trois. Les autels cités s'ajoutent à ceux de la Passion, près de l'autel de la Croix, de l'Ascension et de la Résurrection [transept oriental, dont on ne sait s'il était ouvert sur sa hauteur (W.Effmann) ou comportait des tribunes (C.Heitz )], autel de saint Riquier, dans le choeur, profond et carré et précédant une grande abside, contenant aussi l'autel de saint Pierre et de saint Riquier : au total, douze stations de la Croix balisent ainsi les nombreuses processions de moines qui se déroulent dans l'abbatiale et le culte de ceux qui ont suivi Le Nazaréen, martyrs et autres confesseurs, y était pleinement associé. Toujours selon C. Heitz, et sur la base de son ouvrage L'architecture religieuse carolingienne ( Picard, Paris 1980), la disposition des autels principaux, des deux tours circulaires et de la galerie des femmes peut-être comparée au Saint Sépulcre de Jérusalem.
 
Pour finir, nous dirons qu'à l'opposé du modèle basilical romain, où l'ambulation du fidèle représente une ligne droite, de la façade à l'abside, le modèle de Saint-Riquier brise radicalement la ligne, architecturant de multiples espaces, dévoilant au fil du calendrier liturgique une foisonnante exploration des mystères chrétiens.
 

Corvey

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De gauche à droite, de haut en bas : plan carolingien de l'abbatiale, au sol puis en élévation; façade actuelle de l'abbatiale avec son westwerk et surélévation des tours au XIIe siècle; vestibule d'accès au hall, dit cripta; vues des niveaux inférieur et supérieur (dit le quadrum).

 
Saint-Etienne de Corvey, c'est la nova Corbeia , en Westphalie (Germanie), fille de Corbie en Picardie, et fondée entre 822 et 826 par le comte Wala (Uualah, Uuala, 773-836), sur les rives de la Weser, aidé peut-être en cela par son demi-frère Adalhard, lui même abbé de Corbie, au milieu des peuples saxons fraîchement baptisés sous le règne précédent de Charlemagne. Son architecture l'apparente à l'abbatiale de Saint-Philibert de Grand-Lieu ou à la cathédrale de Halberstadt (terminée vers 859), avec choeur à déambulatoire et chapelles latérales. Ce sont là, nous le verrons, de rares exemples saxons inspirés des nouvelles stylistiques de Francie Occidentale, à l'exception du massif occidental, le westwerk (plur. westwerke) construit entre 873 et 885, qui est une invention typiquement germanique. Pour certains, ce serait un sanctuaire dans un sanctuaire : le hall du rez-de-chaussée est large et volumineux, l'étage, tribune ouverte vers la nef, possède un autel en son centre : on a pu y accueillir, comme il se fera couramment plus tard, les laïcs pour des fêtes religieuses importantes, mais aussi une "schola cantorum" (école de chant) ou une "galilea" (voir La Galilée).



Notes
"Wilhelm Effmann : 14.9.1847 à Werden an der Ruhr (auj. Essen, D), 23.5.1917 à Bonn, cath., Prussien puis Allemand. Fils de Johann, rentier, et de Margarete Sprung. Etudes de philologie et d'histoire à Bonn (1866-1870), d'architecture à Berlin, et semestres de droit. Architecte du gouvernement à Werden. Nommé professeur d'histoire de l'art à l'université de Fribourg en 1889, doyen en 1891-1892, il démissionna en 1898 par solidarité avec les autres professeurs allemands. Il dressa les plans des églises paroissiales de Saint-Antoine (achevée en 1894) et de Cormondes (néo-gothique, 1899-1900). Spécialiste des constructions médiévales, il fut l'un des premiers à combiner l'étude des textes et des images avec une analyse du bâti. Docteur honoris causa de l'université de Münster.
 
Oeuvres
-«Die Glocken der Stadt Freiburg», in FGB, 1898, 1-208
-Die Karolingisch-ottonischen Bauten zu Werden, 1899
Bibliographie
-Fränkischer Kurier in Nürnberg-Fürth, 30.5.1917
-FGB, 24, 1917, IV
-Hist. de l'Université de Fribourg Suisse, 2, 1991, 691; 3, 1992, 942"
 
Texte cité de Marianne Rolle, http://www.snl.ch/dhs/externe/protect/textes/F42806.html
Carol Heitz : historien d'art, professeur d'histoire du moyen-âge et président honoraire de l'université de Paris X Nanterre. Nombreux ouvrages sur l'architecture religieuse, sur l'architecture monastique :
 
- L'architecture religieuse carolingienne, Picard, Paris 1980
- Architecture et liturgie processionnelle à l'époque préromane, "Revue de l'art", 24 (1974),
- Lumières anciennes et nouvelles sur Saint-Bénigne de Dijon. Du VIIIe au XIe siècle et
- édifices monastiques et culte en Lorraine et en Bourgogne, C. HEITZ et F. HÉBER-SUFFRIN
(Cahiers du Centre de recherches sur l'antiquité tardive et le haut moyen-âge 2) Nanterre 1977
- De Chrodegang à Cluny II: cadre de vie, organisation monastique. Splendeur liturgique, in : Sous la règle de saint Benoît. Structures monastiques et sociétés en France du moyen âge à l'époque moderne. Abbaye bénédictine Sainte-Marie de Paris 23-25 octobre 1980 (École Pratique des Hautes-Études, IVe Section, Sciences Historiques et Philologiques 5 [Hautes études médiévales et modernes 47]) Genf - Paris 1982, S. 491-497
- La France pré-Romane, Edition Errance, 1987
- L'exemple des jardins de Saint-Gall, éditions Pierre-Gilles Girault
 
Textes publiés au Cerf :
L'Image d'un Dieu souffrant [ Préface ]
Nicée II, 787-1987 [ Contribution ]


Sources

     
http://www.arch.uiuc.edu/courses/arch312/II/ii.html (architecture carolingienne)
http://www.kuenzle.hbt.arch.ethz.ch/Publikation/Publikation_Armenien/Beitraege/Shahinian2.html (architecture carolingienne)
http://vandyck.anu.edu.au/introduction/charlemagne/charlemagne.html (illustrations)
http://web.hku.hk/~h0207881/MiddleAges.htm (façade abbatiale)
http://www.snl.ch/dhs/externe/protect/textes/F42806.html
http://www.kuenzle.hbt.arch.ethz.ch/Publikation/Publikation_Armenien/Beitraege/Shahinian2.html
http://www.auxerre.culture.gouv.fr/culture/arcnat/auxerre/fr/apo/pag/fra_orn.htm
http://www.usc.edu/dept/LAS/Art_History/AHIS511/image1.html
http://www.usc.edu/dept/LAS/Art_History/AHIS220g/module/carol/10a.html (idem)
http://www.brynmawr.edu/Acads/Cities/wld/01070/01070a.jpg (idem)
http://www.courses.psu.edu/art_h/art_h302_cxz3/partii.html
http://www.schau-mal-einer-an.com/Lndsch/Weser/Corvey_Kaiserkirche.htm
http://www.ibsg.tu-bs.de/baugeschichte/pdf/Spaetantike.pdf
http://www.thais.it/architettura/romanica/schede/scm_00010.htm

 
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