ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE

- ABATTOIR
 

Boucherie

 
---Un peu d'histoire--

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Un peu d'histoire :exemple de plan d'abattoir au XIX e siècle
Introduction
ABATTOIRS DE PARIS
L'Abattoir de la Villette* :
LA CREATION
LA STRUCTURE
LA BELLE EPOQUE
LE DEBUT DU NAUFRAGE
LA RECONSTRUCTION
LA FIN D'UNE HISTOIRE
AILLEURS EN EUROPE
     
    * Ces articles sont essentiellement constitués d'extraits de la thèse de doctorat soutenue en mars 1995 par Pierre HADDAD : "LES CHEVILLARDS DE LA VILLETTE. NAISSANCE, VIE ET MORT D'UNE CORPORATION", et publiée sur le site que je trouve le plus important sur la question, à l'adresse :
    http://www.pierrehaddad.fr
     

Introduction

Les inconvénients et les dangers que présente, au point de vue de la salubrité et de la sécurité publiques, l'abattage des animaux dans l'intérieur des villes, étaient reconnus dès le XVIe siècle. Ainsi, en 1416, Charles VI ordonna la relégation des tueries extra-muros. Les bouchers, en tuant où et comme ils voulaient, créaient des pôles redoutés par une
population qui répugnait au voisinage des "hommes de sang" et qu'affolait la
pestilence de toute putréfaction. Mais l'inefficacité de la mesure se révéla très vite,
la puissante et dangereuse corporation des bouchers, gens armés, vit renaître ses
tueries parisiennes encore plus nombreuses. L'histoire des tueries n'est qu'une
longue suite d'interdictions répétées parce qu'inobservées. Prescription renouvelée sans beaucoup plus d'effet par
le règlement de Charles IX, du 4 février 1567, pour la police générale du royaume, au titre de "La propreté et netteté des villes ", qui décide que " les officiers de police donneront ordre de mettre les tueries et écorcheries des bêtes hors des villes et près de l'eau ". On retrouve la même préoccupation dans un règlement d'Henri III, du 21 novembre 1577, qui ne fut appliquée que dans quelques villes (Lyon, Moulins, Tours, Nantes, etc.). Laissons à Louis-Sébastien Mercier*(note en bas de page) le soin d'évoquer le triste spectacle qu'offraient ces écorcheries : Le sang ruisselle dans les rues, il se caille sous vos pieds, et vos souliers en sont rougis. En passant, vous êtes tout à coup frappés de mugissements plaintifs. Un bœuf est terrassé, et la tête est liée avec des cordes contre la terre ; une lourde massue lui brise le crâne, un large couteau lui fait au gosier une plaie profonde [...]. Les égouts n'existaient pas et les déchets s'entassaient, exhalant des odeurs désagréables. La fonte des suifs se faisait sur place. Un tel état de choses devait inéluctablement aboutir à la dispersion des tueries particulières.


ABATTOIRS DE PARIS


Abattoir de la Villette plan des abattoirs de la Villette


LA CREATION

A la suite du décret du 24 février 1858, qui rendait la liberté au commerce de la boucherie, le nombre des étaux exploités dans l'ancien Paris augmenta encore dans une telle proportion que la situation devint réellement préoccupante.

Dès 1855, une commission, composée des membres du Conseil municipal de Paris, avait été chargée de présenter un rapport sur l'organisation de la boucherie. A la suite de ce rapport, le Conseil municipal invita le Préfet de la Seine à transférer sous les murs de Paris les marchés aux bestiaux de Poissy et de Sceaux. Ce n'est que quatre ans plus tard, après enquêtes faites auprès de la Sous-Préfecture de Saint-Denis, des mairies de La Villette et de Pantin, de l'Hôtel de Ville de Paris, qu'il fut décidé que le marché serait établi à La Villette entre le canal de l'Ourcq, la route d'Allemagne (aujourd'hui avenue Jean Jaurès) et l'enceinte fortifiée.

Cette décision fut approuvée le 6 avril 1859 par le Conseil d'État. La loi du 16 juin 1859, qui annexait à la Ville de Paris les territoires compris dans l'enceinte des fortifications, allait permettre de réaliser cette œuvre gigantesque. En 1860, la Ville de Paris acquérait tous les terrains nécessaires à l'établissement d'un marché et d'abattoirs pour la somme de 8.500.000 francs.

Avec la création de ce complexe, on assiste à une double mutation de la fonction des abattoirs concentration et en même temps rejet à la périphérie de la ville. Il est évident que ce sont les nouvelles techniques de l'époque qui ont permis ce changement d'échelle.

La construction des abattoirs de La Villette est l'aboutissement d'un projet répondant à plusieurs impératifs :

- organisation de la boucherie et de la distribution de la viande dans Paris.
- nouvelles techniques d'abattage avec le remplacement en 1872 de la masse par le merlin anglais.
- nouvelles possibilités de transport des bestiaux et de la viande avec le décret impérial du 19 octobre 1864 déclarant d'utilité publique l'établissement d'un chemin de fer d'embranchement reliant le marché aux bestiaux et les abattoirs contigus au chemin de fer de ceinture.

Un nouveau progrès fut réalisé en 1890 avec l'installation des Services vétérinaires et sanitaires.

Les travaux du Marché et des Abattoirs généraux, concédés le 20 janvier 1865, furent exécutés sur les plans et sous la conduite de M. Janvier, architecte, d'après les avant-projets de M. Baltard, architecte de la Ville de Paris. Le coût de la construction atteignait en 1886 la somme de 150.000.000 francs.

Les abattoirs furent livrés au commerce de la boucherie le 1er janvier 1867, tandis que les cinq anciens abattoirs de Paris étaient successivement désaffectés. Le Marché aux bestiaux entra en service le 21 octobre de la même année. Selon Auguste Rouquet, il n'y eut pas d'inauguration officielle( A. Rouquet, La Villette, vie d'un quartier de Paris, Paris, éd. du Cygne, 1930, p. 137).

C'est à partir de cette époque que le nom de La Villette désigne désormais les abattoirs.
Lucien Lambeau, auteur d'un ouvrage sur La Villette ( Lucien Lambeau, La Villette, Paris, éd. Ernest Leroux, 1926, p. 308), rapporte que l'abattoir, au moment de son ouverture, pouvait recevoir dans ses étables et dans ses cours 1.360 têtes de gros bétail, 1.950 veaux, 3.900 moutons et 3.240 porcs. Il comptait 151 échaudoirs et 23 ateliers d'abattage (4).


LA STRUCTURE


L'établissement occupait à sa mise en service une surface d'environ 39 hectares, qui a été portée à 54 hectares au fil du temps. L'aire occupée était limitée par le chemin de fer de l'Est et la route militaire, les canaux de l'Ourcq et de Saint-Denis. Il était traversé dans toute sa longueur par une avenue dite du Centre, une avenue du Nord et une avenue du Sud. La façade principale, qui donnait rue de Flandre, comptait neuf portes carrossables et six pour les piétons ; elle était fermée par une grille d'environ 120 mètres de longueur.
Construit dans le but de centraliser la profession et conçu d'ailleurs, comme une succession de tueries particulières à méthodes artisanales, il était, à l'époque, le plus vaste d'Europe. Au début, l'Abattoir général comportait neuf " carrés " d'abattage. Chaque carré comprenait deux rangées d'échaudoirs séparées par une cour. Des pavillons, échelonnés en éventail, contiennent des étables où séjournent les bœufs, taureaux, vaches, et des échaudoirs destinés à l'abattage. Les échaudoirs étaient des cases de 50 M2 environ, équipées sommairement d'un treuil destiné à hisser les carcasses des bovins, après l'éviscération, sur deux poutres en fer, appelées " pentes ". L'eau qui provenait de 250 robinets s'ouvrant à volonté (!) se déversait, après avoir servi aux lavages, dans des égouts qui n'avaient pas moins de dix kilomètres de développement sous les terrains bâtis. Sur 272 échaudoirs que contenait au départ l'abattoir, 187 étaient livrés au commerce. Le plan ci-dessus reproduit indique la disposition de ces pavillons et des divers établissements compris dans l'abattoir (bâtiment spécial pour la tuerie des porcs, porcheries, etc.). Un fondoir, n'ayant pu être utilisé, a été affecté à la vente à la criée des viandes de boucherie. L'abattoir est relié au marché des bestiaux par deux ponts construits sur le canal de l'Ourcq. (Abattages de 1882 : 190836 bœufs et taureaux; 47656 vaches; 197941 veaux; 1585040 moutons; 141720 porcs. Sur la rive gauche existaient encore, à l'origine de l'abattoir de la Villette, les abattoirs de Grenelle (48 échaudoirs) et de Villejuif (32 échaudoirs).

Le grand mémorialiste de la Boucherie en gros, que fut Henri Matrot ( Henry Matrot, Vieux Souvenirs, Paris, 1910), porte un jugement sévère sur l'œuvre de l'architecte chargé de la construction des abattoirs. Ce dernier, selon lui, ne s'était guère préoccupé des besoins de l'industrie qu'il avait à y loger. Il avait notamment construit des séchoirs dans lesquels il n'y avait rien à faire sécher, et des cours de travail où il était défendu de travailler. Le fait est qu'il s'était formellement opposé à ce qu'on y scellât des anneaux alors que le règlement interdisait d'abattre des bestiaux sans qu'ils fussent attachés !
Dès 1868 la Commission administrative de l'abattoir (ancêtre du Syndicat de la Boucherie en gros de Paris) réclamait au nom du commerce de la Boucherie la couverture de ces cours. Les professionnels avaient beau expliquer que le travail de la boucherie devait être fait par des ouvriers légèrement vêtus, exposés à toutes les intempéries, et que cet état de choses causait un préjudice non seulement aux ouvriers, mais aussi à la marchandise, le service d'Architecture restait sourd à la demande de la Commission :
Nous avons déjà dit, et nous le répétons encore, répondait l'architecte de l'Administration, ce que demande le commerce de la Boucherie est absolument insensé, la couverture des cours de travail avec les extrémités ouvertes établira des courants d'air mortels, on vient vous dire que le travail est fait par des hommes demi-nus, je puis certifier que, dans ces conditions-là, tous les garçons bouchers mourront de fluxion de poitrine.
Après huit années de lutte, la boucherie en gros obtint finalement gain de cause : non seulement les cours de travail furent couvertes mais les beuveries également. Commencés en 1876, les travaux ne s'achevèrent qu'en 1894.

LA BELLE EPOQUE ?

L'arrivée à La Villette du Marquis de Morès, en mars 1892, allait attiser les passions et même provoquer certains débordements. Il suffit de lire ce qu'ont écrit nombre d'historiens sur ce singulier personnage qui défraya la chronique à plus d'un titre pendant la Belle Epoque, et notamment le portrait que brosse Zeev Stemhell pour se rendre compte de l'influence qu'exerça ce disciple d'Edouard Drumont sur les gens de la viande, aussi bien parmi les chevillards, les garçons d'échaudoir, les toucheurs de bestiaux que les forts des Halles :

" Morès rayonne surtout autour des abattoirs de La Villette. Dans ce monde de bouchers, comme auprès des auditoires populaires, Morès jouit d'une énorme popularité.

On aime ses effets de tribune, il soulève l'enthousiasme par son langage imagé, ses ' Je m'en fous' et ses 'Nom de Dieu' ; on aime en lui aussi bien l'aventurier, qui avait perdu plusieurs fortunes que l'aristocrate qui semble sorti des Mystères de Paris. Mais Morès, qui devait bientôt passer la Méditerranée pour tenter d'arracher à l'Angleterre son empire africain, pour 'unir la France à l'Islam et à l'Espagne' , il représente aussi toutes les frustrations et tous les rêves de la vieille Europe, de tous les lecteurs de romans d'aventure de la fin de siècle. Eleveur de bétail dans le Dakota du Nord, il campe, dans l'imagerie des années quatre-vingt dix, l'homme des Prairies ; aristocrate de très vieille souche, il représente la vieille France héroïque, virile et altruiste, face à l'égoïsme bourgeois et à l'exploitation capitaliste. "

Mais ce bel aristocrate, si attachant par certains côtés, était aussi un redoutable chef de bande. Il avait en effet fondé, à l'indignation de sa respectable famille, une étonnante association 'Morès et ses amis' qu'on peut considérer, écrit Michel Winock, 'comme une sorte de modèle, sur le mode mineur, des futures sections d'assaut'

"On trouve sous les ordres du preux chevalier, ajoute-t-il, une bande hétéroclite d'antisémites, d'anarchistes, d'anciens boulangistes, de chômeurs, d'hommes sans foi ni loi, auxquels s'adjoint le renfort de bouchers de La Villette séduits par le Mousquetaire depuis qu'il a fustigé une firme juive coupable d'avoir vendu de la viande avariée à l'Armée... Avec sa troupe, il organise des coups de mains contre les financiers de la Bourse ; bat la grosse caisse dans les campagnes électorales ; claironne qu'au temps de la Commune on a tué 35.000 hommes et qu'il suffira, cette fois, que l'on tue 200 ou 300 usuriers [... ]."

Dans on ouvrage intitulé Antisemitic in modern France, Robert F. Byrnes parle abondamment du Marquis de Morès Il raconte comment, après l'effondrement de la ligue antisémitique en 1890, ce singulier personnage fonda en mars 1891 son association 'Morès et ses amis', et il insiste sur le fait que le noyau dur de sa troupe est constitué de bouchers des abattoirs de La Villette dont il a gagné le cœur par ses prodigalités et par l'habileté et la témérité dont il fait preuve dans les duels !

Aisément reconnaissables à leur sombrero et à leur chemise rouge de cow-boy, les 'Amis' du marquis de Morès vont se faire remarquer par leur brutalité dans les combats de rues, et par la manière dont ils terrorisent leurs adversaires.

Robert F. Byrnes rappelle que la terreur semée par l'escadron du 'Roi du Marché' , au cours de sa campagne antisémite, se retourna parfois contre lui. Ce fut particulièrement vrai lorsque, le 23 juin 1892, il tua en duel le capitaine Armand Mayer. Par contre, fait symptomatique, ses partisans de La Villette lui offrirent 'une épée d'honneur' en guise de félicitations.

Pierre Nfilza évoque, lui aussi, la popularité dont jouit le marquis de Morès à l'intérieur des abattoirs :

" [...] Morès, aventurier de haut vol et authentique marquis tout droit sorti de l'univers romanesque d'Eugène Sue, démagogue et chef de bande, enfant chéri des bouchers de La Villette et des prolétaires marginaux de la périphérie parisienne."

Dans leur Histoire anecdotique de la Belle Epoque, Gérard Guicheteau et Jean-Claude Simoën montrent, eux, les raisons du succès remporté par Morès et son acolyte Jules Guérin qui, en 1899, connaîtra une éphémère popularité grâce à l'épisode de Fort Chabrol Après avoir rappelé comment ces deux hommes en étaient venus à naviguer dans le sillage de Drumont, ils écrivent :
"Leur originalité, qui leur attirait des trésors... de sympathie, tenait au fait qu'ils étaient passés de la théorie à la pratique et qu'ils manœuvraient déjà, en quelques mois, une structure militante capable de promouvoir des coups de main, d'organiser des pogromes, d'envisager des actions insurrectionnelles. Parce qu'ils avaient assimilé, sans peut-être trop l'analyser, la leçon de l'expérience boulangiste, ils étaient finalement beaucoup plus dangereux qu'un Déroulède: ils étaient populaires."

Autre atout de Morès en particulier, que soulignent ces deux auteurs, sa connaissance des milieux de la viande :
"Le bœuf, il connaissait. La viande, il savait. Il racontait Chicago. Les abattoirs modernes et électriques (!). Les chaînes à vapeur. Les échaudoirs de La Villette, à côté, c'était comme des échoppes de cordonniers auprès des usines à chaussures de Limoges."

Essayons maintenant de voir, d'une part, ce qui poussa le marquis de Morès et son lieutenant à venir à La Villette y recruter le gros de leur troupe et d'autre part, ce qui incita un certain nombre de bouchers à suivre ces deux meneurs.

Comme le montrent G. Guicheteau et J.-C. Simoën, l'arrivée aux abattoirs de ces deux émules de Drumont n'était pas un fait du hasard :
"Il est bien évident que le choix du marquis de Morès et de Jules Guérin avait quelque chose à voir avec le sentiment d'attrait/répulsion inspiré par le métier de tueur aux abattoirs Parce qu'il ne s'agit pas de n'importe quels bouchers. Les amis de Morès ne sont pas ces étaliers de quartier qui débitent le bœuf miroton ou l'escalope de la ménagère. Il s'agit des bouchers les plus spécialisés d'entre les spécialisés : les saigneurs, les chevillards, ceux qui, au premier chef, transforment la vie en marchandise. En faisant de La Villette, leur 'base rouge révolutionnaire', le marquis de Morès et Jules Guérin s'étaient emparés de l'image la plus efficace dans la propagation de la terreur."

Qui sont les chevillards* ? Au premier chef, les chevillards ou bouchers en gros, leur personnel, et tous les corps de métier gravitant autour des hommes du circuit rouge : en amont, une quarantaine de commissionnaires en bestiaux qui détenaient un quasi-monopole dans toutes les transactions effectuées sur le marché, ainsi que les encaisseurs, les débarqueurs, les conducteurs de bestiaux, et en aval, les courtiers en cuirs et peaux, les tripiers, les fondeurs, les ramasseurs de glandes, les meneurs de viande, les «facteurs» à la Criée **, les comptables, etc.

Un historien hollandais, Bards Briels, a effectué des recherches très poussées sur cet épisode de l'histoire des abattoirs . Malheureusement, seules les trois pages d'introduction de sa thèse sont traduites en français. Détachons en quelques passages :
"Je décris comment, depuis 1892, un groupe de bouchers de La Villette apparaît comme gardes du corps en hommes de main des chefs de file de la ligue Antisémitique. Le propos direct du contact entre les chefs de ligue antisémitique, le marquis de Morès et Jules Guérin, et un groupe de bouchers en gros était une proposition du Conseil municipal du novembre 1891 dont le droit exclusif des bouchers de La Villette pour y abattre sera aboli La communauté des bouchers en gros protestait furieusement et dans cette période le marquis de Morès et Jules Guérin offrent leur support aux bouchers.

"Le marquis de Morès commence en mars 1892 une campagne antisémite dont il accuse un groupe de bouchers juifs d'avoir fourni de la viande pourrie aux régiments militaires et Jules Guérin exprime à une grande manifestation organisée par le syndicat de boucherie, en mai 1892, le sentiment des patrons bouchers avec une voix violente 'contre les grands capitalistes étrangers cosmopolites qui veulent détruire une industrie française traditionnelle et corporative.'

Depuis ce temps, le marquis de Morès, et après sa mort, Guérin ont été assistés par un groupe d'une cinquantaine de bouchers en gros de la Villette jusqu'à la fin 1899 quand la ligue antisémitique commence à se décomposer. "

Et Bard Briels conclut son introduction par une analyse qui donne à réfléchir sur l'état d'esprit qui régnait alors à La Villette :
"Ce sont surtout les patrons bouchers en gros qui protestaient lorsqu'en 1891 la municipalité Paris voulait abolir le droit d'abattre exclusif et ce n'est pas étonnant que les hommes de main des abattoirs de La Villette qui se sont liés à la ligue antisémitique se composaient pour la plupart des patrons bouchers en gros. Il y avait un accord important entre la mentalité et l'idéologie de la plupart des patrons bouchers et ceux de la ligue antisémitique.

Ces deux groupes glorifiaient l'image idéale de la communauté de travail préindustriel et anticapitaliste : ils glorifiaient les liens nationalistes et harmonieux entre le patronat français et les ouvriers français (ils étaient vraiment indignés que les ouvriers français avaient le courage de faire une grève, ils s'occupaient quand même bien d'eux) et ils s'insurgeaient contre les syndicats 'cosmopolite et international marxistes' qui selon eux voulaient seulement montrer un contraste plus violent entre le patronat et les ouvriers. En plus, ils détestaient les grands développements capitalistes et ils avaient peur que si la proposition était acceptée (ce qui n'était pas le cas), il restait de trois cents petites et grandes maisons seulement quelques maisons supergrandes. Selon eux, les juifs étaient les importants responsables pour les grands développements capitalistes dans la société. " [sic]

Parmi les partisans du marquis de Morès, deux chevillards vont particulièrement se distinguer. C'est d'abord Bernard Roux qui, si l'on en croit Bard Briels, "introduit" Morès à la Villette dont il devient l'un des plus fidèles disciples, au point qu'il lui appartiendra de prononcer un discours au nom de la boucherie, lors des obsèques du marquis, assassin‚ au seuil du désert libyen, à El-Ouatia, le 8 juin 1896, par son escorte de Touaregs.

L'autre disciple de Morès, Gaston Dumay, est connu, toujours selon Bard Briels, "comme activiste militant antisémite verbalement" (!). Comme Bernard Roux, il exerce des fonctions à l'intérieur du Syndicat. En 1891, il fait partie notamment de la commission des pailles et fumiers, puis, en 1903 et 1904, de la commission des arbitrages, mais ce personnage qui ne trouve rien de mieux que de faire placer un immense portrait de lui à la porte de son échaudoir, le représentant en tenue de tueur, en train d'écraser un juif, avec cette inscription qui ne laisse aucun doute sur ses sentiments : " Mort aux Juifs ", a d'autres activités, comme le révèle ce rapport de police, émanant de la Direction générale des Recherches, daté du 21 juillet 1899 :

"Pour faire suite à mon rapport du 20 juin 1899, par lequel je signalais le sieur Dumay (Gaston, François) comme chargé de racoler les bouchers qui accompagnent habituellement Jules Guérin, au cours des manifestations qu'il organise, j'ai l'honneur de rendre compte que les nouveaux renseignements qui me sont parvenus, m'ont permis de découvrir l'identité d'un certain nombre de ces individus. Ce sont les nommés... (voir les noms qui figurent sur le document en annexe).

[…] Tous ces individus sont taillés en hercule, d'une très grande violence et forment pour Jules Guérin, une garde redoutable. "

Le 12 août 1899, premier jour du siège de Fort Chabrol, Dumay et trois de ses acolytes étaient arrêtés. Le 17, et surtout le 18 août, les bouchers de La Villette menaçaient de tout casser si on ne les libérait pas : " Ce fut, comme l'écrivent G. Guicheteau et J.C. Simoën, la dernière apparition de La Villette dans le combat antisémite et nationaliste avant longtemps. Les quatre bouchers arrêtés furent relâchés peu après. "

A travers ce qui précède, on pourrait être tenté de croire que La Villette était à feu et à sang à cette époque-là, or tout semble indiquer qu'il n'en fut rien. En effet, j'ai dépouillé un grand nombre de documents recueillis dans les dossiers B/A des archives de la préfecture de police (Direction générale des recherches) et dans les archives du syndicat la boucherie en gros de Paris , et je n'ai pas trouvé la moindre trace d'actes de violence commis dans l'enceinte des abattoirs de La Villette. ·A cela, plusieurs explications dont une, celle de G. Guicheteau et J.-C. Simoën, me semble particulièrement intéressante. Ces deux auteurs citent les noms de quelques agitateurs notoires "prêts au massacre", et ajoutent :

"Ils faisaient du bruit comme une armée, les amis du marquis de Morès. Toutefois, les abominables tueurs de veaux ayant beaucoup parlé, on les considérait plutôt comme des exaltés. C'était des terreurs […] Ils étaient forts, mais en bande. · La Villette, entre confrères, il était mal vu de semer le désordre. L'activité antisémite de la bidoche française, sur place, en définitive ne dépassait guère le stade des vexations et des quolibets."

Georges Chaudieu, le grand historien de la boucherie, évoque, lui aussi, le comportement des bouchers au cours de cette époque. Après avoir fait l'apologie de Morès et rappel‚ au passage qu'il était sorti de Saint-Cyr dans la promotion Plewna, dont faisaient partie le général d'Urbal, le général Mazel, Charles de Foucauld, le maréchal Pétain..., il écrit :

"Il ne faut pas croire que les mobiles qui incitèrent les bouchers à épouser la cause de Drumont et de Déroulède furent dirigés contre les Juifs. Ils en avaient pour confrères, aux abattoirs de La Villette et jamais ils ne les brimèrent. C'est donc plutôt par sentiment patriotique qu'ils agirent." (!)

On est effectivement frappé par le patriotisme affiché en toutes circonstances par les bouchers de La Villette, à cette époque-là , mais je ne pense pas pour autant que ce noble sentiment ait suffi pour les jeter dans les bras de Drumont, Déroulède et consorts.

Les raisons du succès remporté par les disciples de ces leaders me semblent avoir d'autres causes. Ces agitateurs notoires profitèrent sans aucun doute du mécontentement suscité par la dépression profonde des années 1882-1896, mais, dans ce monde à part qu'était celui des abattoirs de La Villette, ils purent, peut-être plus facilement qu'ailleurs, exploiter la peur qu'inspiraient aux gens de la viande les nouvelles formes de commercialisation dont nous avons parlé en début de chapitre.

Ces quelques lignes, citées par ailleurs dans le chapitre consacré à la mentalité des chevillards, le montrent bien :

"A la fin du XIXe siècle, petits patrons, artisans, seconds d'un homme que la tradition obligeait à exercer sans délégation, les bouchers se sentaient menacés par les changements du monde moderne. Héros du paiement " cash " et de la fortune liquide, ne voyant pas plus loin que le règlement hebdomadaire des billets couvrant les transactions soumises à la Régie des abattoirs, ils s'effrayaient plus particulièrement des abstractions de la banque et du commerce moderne. L'accumulation capitaliste ne signifiait jamais, que l'entassement. La spéculation, dans les immenses pendoirs à viande, ne dépassait pas ce qu'au temps de la Révolution française on avait appel‚ " accaparement ". Convertir du bœuf autrement qu'en sacs d'or était impensable. Fournir du papier en guise de paiement relevait quasiment de la malhonnêteté.

"Et c'était précisément ce que faisaient, depuis des siècles, ceux qu'on avait d'abord appelés les 'Lombards' et les 'Vénitiens' et qui, depuis Francfort, Augsbourg, La Haye ou Milan, avaient fait fortune en avançant la valeur de leurs traites à des clients pressés. Que le marquis de Morès vienne, ici, fustiger les spéculateurs et les banquiers, il ne lui était pas nécessaire de beaucoup expliquer. "

Si je me suis tellement appesanti sur ce sujet, c'est parce qu'aujourd'hui encore, je m'interroge sur ce qui a pu conduire des bouchers, qui devaient ressembler en tout point à ceux que j'ai connus, à rallier les troupes de choc du marquis de Morès et de Jules Guérin. Disons que le climat quasi insurrectionnel de l'époque , si bien évoqué par Anatole France dans Monsieur Bergeret à Paris, fut pour quelque chose dans le comportement de ces hommes, et fermons ici cette parenthèse.

L'invasion des viandes étrangères, avec ses retombées sur le plan économique et social, ne fut pas le seul fait marquant de l'histoire de La Villette. Le commerce en gros des viandes connut en effet d'autres heures difficiles entre 1886 et 1914. Il fut confronté, à la charnière de ces deux époques, à une multitude de problèmes dont certains allaient occuper périodiquement le devant de la scène pendant des décennies sans que jamais une solution valable puisse y être apportée. Au nombre de ces problèmes, la cherté de la viande.

Pour expliquer ce phénomène, il faut savoir qu'à partir de 1850-1860, il y eut un changement total dans la manière de vivre des populations rurales. Avant 1860, la consommation de viande était très restreinte. ·A partir de cette époque, elle augmenta dans des proportions considérables . Le Président du Syndicat de la Boucherie en gros avançait le chiffre de 30 % dans les villes, ajoutant qu'il était encore plus sensible dans les campagnes. Certains chefs-lieux de cantons, dans lesquels il n'y avait autrefois qu'un seul boucher, en comptaient deux ou trois en 1890.

Ce changement économique allait amener notre pays à importer par intermittence des animaux de toute espèce dans des proportions jusque-là inconnues. Un certain nombre de pays voisins nous expédièrent notamment des animaux de l'espèce bovine. Tour à tour, comme on peut le voir dans le rapport présent‚ au Conseil du Syndicat, le 30 janvier 1890, ce fut le cas de l'Italie, de la Suisse, de l'Allemagne, du Danemark, de l'Espagne, de l'Autriche et de la Sardaigne :

" L'Italie principalement nous en envoyait de grandes quantités en 1872, 1873, 1874 ; les expéditeurs trouvaient alors un avantage immense chez eux sur le change de notre or, qu'ils recevaient uniquement en paiement; la différence était telle que l'animal rendu à Paris coûtait pour eux exactement le même prix que dans le Tyrol, la Napolitaine, Florence, la Campagne de Rome, etc.

Le change pour eux payait au-delà des frais. Les temps ont changé pour eux et pour nous, ajoutait le Président Briotet - rappelons que nous sommes en 1890 - : cette différence a disparu et Paris ne voit plus ces animaux décousus, osseux, que l'Italie nous expédiait à cette époque. Là est l'une des causes principales mais non unique.

La Suisse, en l866, nous inonda de ses produits pendant les mois d'octobre, novembre et décembre ; depuis, elle est restée étrangère aux exportations importantes d'animaux gras. Elle se contente de vendre à des prix très élevés ses vaches Fribourgeoises, Schwitz, Bernoises à nos nourrisseurs et à envoyer en France et principalement à Paris, les aloyaux et les cuisses des bœufs de grand poids abattus à Zurich et à Genève, ne conservant que les bas morceaux qu'elle vend à la population indigène à des prix peu élevés, les morceaux de choix expédiés chez nous étant une compensation par leurs prix rémunérateurs.

Le Danemark nous fit quelques envois en 1878 ; ils n'ont pas reparu. L'Espagne, à de rares intervalles, fait quelques velléités d'expédition, mais sans grande importance.

La Sardaigne fit des envois considérables en 1883, l'année où la viande atteignit le maximum des prix pratiqués sur nos marchés. Cette année, elle se surpassa et ses animaux d'habitude assez durs d'aspect et de qualité assez inférieure comme la plupart des bestiaux vivant sous un climat chaud, nous causèrent un étonnement profond. Certains d'entre eux pouvaient lutter avec nos races de second ordre. Depuis cette époque, ils ont été beaucoup moins nombreux et surtout bien inférieurs.

L'Allemagne et l'Autriche-Hongrie nous ont expédié de beaux et lourds animaux dans quelques saisons d'hiver.

Les envois les plus importants nous ont été faits par le Nouveau Monde. Les Etats-Unis nous ont expédié des bœufs qui rappelaient par leur qualité, leur embonpoint excessif (!) et leur poids considérable, la qualité de leurs prairies. La Plata nous en a fourni, mais bien inférieurs sous tous les rapports. "

On aurait pu penser que tous ces envois de bétail amèneraient une baisse du prix de la viande en France. Il n'en fut rien :
"Ce que nous pouvons dire avec toute sincérité, déclarait en effet le porte- parole de la boucherie en gros, c'est que toutes ces contrées ne nous ont expédié leurs marchandises qu'au moment des grandes chertés, nous pourrions dire des prix excessifs et exagérés. Preuve incontestable que la vie à bon marché n'est qu'une utopie, si on l'espère par l'importation étrangère et qu'elle ne peut arriver, exister que par la production nationale elle-même. "

Rappelons-nous, disait le rédacteur du Journal du Syndicat, les paroles si sages, si patriotiques de notre intrépide soldat, de notre grand colonisateur le maréchal Bugeaud : " Une nation sans bétail est une nation livrée d'avance aux caprices de l'étranger. "

Bref, il fallait impérativement relancer l'élevage, et pour ce faire, appuyer les revendications du monde agricole. En avril 1888, les dirigeants du Syndicat avaient répondu à un questionnaire que leur avait adressé Jules Méline, alors président du groupe agricole de la Chambre des députés , sans doute parce que, depuis des mois, ils ne cessaient d'appeler l'attention du gouvernement sur les maux dont souffrait l'agriculture française:
1° les tarifs de chemins de fer;
2° la prohibition d'importation des animaux français en Angleterre;
3° l'importation toujours croissante des viandes fraîches dont nous avons parlé en début de chapitre. Seraient-ils entendus, toute la question était là.

Deux ans plus tard, le gouvernement, pressé par les industriels et les agriculteurs, marquait son intention de dénoncer tous les traités de commerce qui liaient la France jusqu'au 1er février 1892. Cette attitude de libération allait aboutir à la loi Méline du 11 janvier 1892 qui faisait bénéficier presque tous les produits de la terre d'une forte protection douanière.

Malheureusement, on allait s'apercevoir que le problème des prix n'était pas résolu pour autant, au point d'amener les dirigeants de la Boucherie à créer une commission chargée de rechercher les causes de la cherté de la viande en général, de celle du mouton, en particulier, et les moyens pratiques d'y remédier.

 

* Selon Le Robert, le mot « chevillard » apparut en 1856. Il faut ajouter que c'est seulement un siècle plus tard, le 15 avril 1962, que ce mot obtint la consécration en entrant au dictionnaire de l'Académie )

** Les facteurs étaient les seuls intermédiaires officiels qui exerçaient leurs fonctions sur les marchés de rassortiment.

LE NAUFRAGE (extraits d'articles de http://www.mhr-viandes.com )

Les débuts du naufrage

En 1905, lors du Congrès de la Boucherie française, un haut fonctionnaire du ministère de l'Agriculture démontrait, au cours d'une conférence, que les abattoirs parisiens ne répondaient plus aux conceptions que l'on était en droit d'attendre en ce début de XXe siècle et laissait entendre que le problème de leur reconstruction allait bientôt être à l'ordre du jour.
Le principe était posé, il ne fallait plus qu'une occasion pour en déterminer sa réalisation. Celle-ci se présenta l'année suivante à la suite d'une plainte des agriculteurs du Nord et de l'Est dénonçant au ministre de l'Agriculture le Marché aux bestiaux et les abattoirs de La Villette comme un foyer dangereux et permanent de contagion de la fièvre aphteuse.
Il n'en fallut pas davantage pour que le président de la commission constituée pour étudier les mesures destinées à assurer la salubrité des abattoirs et du marché déclarât que la reconstruction des abattoirs s'imposait en raison du mauvais aménagement et de l'état de vétusté dans lesquels l'Administration municipale avait trop longtemps laissé ses bâtiments. Il estimait qu'un " retapage " des constructions actuelles de l'abattoir était impossible.
Finalement, la Commission exprimait, par un vœu unanime, la nécessité de procéder sans retard à l'édification d'un abattoir moderne. C'est ainsi que fut condamné à la démolition " le cloaque de La Villette " suivant l'expression consacrée pour désigner les abattoirs à cette époque-là. Personne n'imaginait alors qu'un demi-siècle s'écoulerait avant que le premier coup de pioche fût donné. L'idée sera reprise aux alentours des années vingt. En 1927, notamment, la boucherie en gros se prononçait à l'unanimité en faveur du principe d'un projet de reconstruction des abattoirs de La Villette intitulé " La Cheville ". Les représentants de la corporation considéraient ce projet comme étant le seul susceptible de sauver leur existence commerciale menacée par d'autres projets de caractère nettement industriel que le Conseil municipal risquait d'adopter.

Entre 1920 et 1927, pas moins de huit propositions, rapports et communications furent en effet étudiés par les pouvoirs publics, mais aucune de ces différentes études ne put aboutir. Seule fut entreprise une réfection partielle. Une fois achevée la reconstruction de la Criée, deux carrés d'abattage supplémentaires furent construits. Ils étaient mis à la disposition des bouchers en gros veautiers le 11 février 1933, ce qui ouvrait l'ère de la spécialisation des abattages et des locaux, chaque boucher en gros ne pouvant effectuer que l'abattage d'une seule catégorie d'animaux : bovins, veaux ou moutons et cela dans des locaux distincts.

Les travaux de réfection furent interrompus en 1940, l'occupation, avec ses séquelles restrictions, rationnement et dirigisme - mit, en effet, le Syndicat de la Boucherie en gros en face de lourdes responsabilités et, naturellement, la modernisation des abattoirs fut reléguée au second plan. Les travaux reprirent lentement au cours des années cinquante. On se contenta, en fait, de remettre en état des bâtiments existant déjà, cela, jusqu'à ce que le Commissaire général au Plan informe le Préfet de la Seine que le Gouvernement était disposé à participer au financement des travaux de La Villette.

La reconstruction ( article de http://www.mhr-viandes.com )

Dès le début du XXe siècle, nous l'avons dit, la nécessité de moderniser les abattoirs se faisait déjà sentir. Cependant, il faudra attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour qu'un pas décisif soit accompli. Le 27 décembre 1949, le Conseil municipal de Paris prenait en effet la décision de reconstruire les abattoirs de La Villette.

Le texte de délibération de l'assemblée parisienne était fondé sur quatre considérations :

- l'état vétuste des abattoirs et les difficultés considérables pour y assurer l'abattage dans des conditions d'hygiène suffisantes ;

- les données statistiques particulièrement encourageantes du plan de modernisation et d'équipement concernant l'élevage du bétail :

- la position particulièrement favorable du marché et des abattoirs de La Villette tant au point de vue des facilités données au commerce qu'au regard des commodités de transport ;

- la reconstruction des abattoirs avait cessé d'être un objectif purement édilitaire pour devenir une nécessité nationale et, de ce fait, elle devait être comprise dans le plan de modernisation et d'équipement du pays (19).

Le Conseil municipal, dans sa séance du 16 décembre 1954, invitait le Préfet de la Seine « à faire activer la mise au point du projet de reconstruction des Abattoirs de La Villette afin que cette reconstruction puisse être réalisée rapidement sur des bases modernes permettant au personnel de travailler dans des conditions d'hygiène satisfaisantes et aux transactions de s'effectuer normalement ».

A cette époque, il s'agissait encore, dans l'esprit des professionnels et de la Préfecture de la Seine, uniquement de reconstruire les abattoirs de La Villette pour faire face aux besoins des professions qui exerçaient déjà dans cette enceinte et notamment des bouchers en gros et des facteurs de la Criée.

L'objectif, bien qu'étant de grande taille, était donc relativement limité.

Tout devait changer au début de 1959 lorsque le décret du 6 janvier classa La Villette marché d'intérêt national. L'abattoir ne devenait qu'un maillon de la chaîne et non plus l'essentiel de la reconstruction.

Enfin, la loi de modernisation du marché de la viande de juillet 1965, en interdisant l'abattage individuel dans les abattoirs publics, marquait l'abandon définitif des projets de reconstruction tels que les avait conçus le Syndicat de la Boucherie en gros de Paris. C'était la fin de la répartition collective des usagers en équipes patronales distinctes et indépendantes.

C'est le 29 décembre 1955 que le Conseil municipal de Paris décida l'ouverture d'un projet de concours pour la reconstruction des abattoirs.

Le programme de ce concours imposait aux candidats quatre conditions :

- le futur abattoir serait construit sur la quasi-totalité de l'emplacement des anciens abattoirs ;
- la surface construite au sol devait être réduite dans toute la mesure compatible avec une exploitation rationnelle ;
- la construction devrait s'effectuer par tranches, sans que l'exploitation des abattoirs soit interrompue pendant la durée des travaux ;
- les nouveaux abattoirs devraient être conçus suivant le système dit de la « marche en avant » afin qu'à aucun moment le circuit des animaux vivants, le circuit des viandes et celui des sous-produits ne se coupent à un même niveau.

La conciliation de ces impératifs allait poser bien des problèmes aux bureaux d'études et aux constructeurs du futur abattoir. Les usagers, quant à eux, allaient être contraints, pendant des mois, de travailler au milieu des décombres dans des conditions que les plus pessimistes d'entre eux ne pouvaient alors imaginer.

Le 9 janvier 1957, le résultat du concours était publié dans le B.M.O. Présidé par M. Pelletier, Préfet de la Seine, le jury chargé d'examiner et de classer les projets, après en avoir délibéré, attribuait les primes suivantes :

- Le projet «Sully» se classait en tête et obtenait une prime de 5 millions.
- Le projet «Tête de bœuf sur carré rouge » obtenait la seconde place et une prime de 4 millions.
- Le projet «Sang et Or» obtenait une prime de 3 millions.
- Le projet «Triangle vert» obtenait une prime de 2 millions.
- Deux autres projets étaient également récompensés par une prime d'un million pour chacun.

Les professionnels furent conviés à examiner ces projets au Parc des Expositions, porte de Versailles, jusqu'au 13 janvier 1957. Aucun d'entre eux ne leur ayant donné satisfaction, le rapporteur du Conseil municipal organisa des réunions au cours desquelles chaque secteur d'activité de l'abattoir fut appelé à exprimer son point de vue, et à apporter réserves ou approbations, notamment sur le projet «Sully».

Le 12 décembre 1957, le Conseil municipal était appelé non seulement à se prononcer sur l'avant-projet de reconstruction des abattoirs de La Villette mais également à examiner les modalités de financement.

Selon lui, le projet correspondait à un coût de 13.300 millions (anciens francs). Le problème qui se posait désormais était de savoir comment ces charges allaient se répartir entre la Ville de Paris et l'État.

Le 18 octobre 1958, M. Hirsch, Commissaire général au Plan indiquait que le Gouvernement était disposé à participer au financement des travaux de La Villette sous trois conditions :
- transfert à La Villette du commerce en gros des viandes pratiqué aux Halles
- création d'un marché d'intérêt national ;
- gestion du marché et de l'abattoir par une société d'économie mixte dans laquelle la ville de Paris serait majoritaire.

Dans sa séance du 18 décembre 1958, le Conseil municipal était saisi de cette importante question : il s'agissait non seulement de reconstruire La Villette selon des données totalement nouvelles mais encore de procéder à la réorganisation complète du marché de la viande à Paris.

M. Ribera, rapporteur du projet, annonçait que le financement de l'opération, dont le coût était évalué à 174,14 millions de nouveaux francs, serait assuré intégralement par des prêts de l'État et de la Caisse des Dépôts et Consignations. On demandait seulement à la Ville de Paris des garanties d'emprunt sur les prêts de la Caisse des Dépôts.

A l'issue de cette séance, le Conseil municipal de Paris émettait l'avis que le périmètre de protection du futur marché de la viande comprenne au moins tout le territoire du département de la Seine, sauf le marché de Vaugirard, et décidait que la reconstruction et la gestion seraient assurées par une société d'économie mixte.

Avec la prise en main de la reconstruction par l'État qui se substituait en partie, à la Préfecture de la Seine, le problème du financement semblait résolu. Toutes les conditions étaient maintenant réunies pour que le nouvel abattoir, dont tant d'usagers parlaient sans trop y croire, sorte de terre dans les six ou sept années à venir.

Apparemment, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. Personne, à l'époque, ne pouvait imaginer un seul instant «que le futur complexe de La Villette, qui devait engager l'avenir pour plusieurs générations» (22) serait démantelé quinze ans plus tard !

Le 1er mars 1959 les bulldozers entrèrent en action sur un terrain qui se trouvait de l'autre côté du boulevard Macdonald, terrain destiné à abriter les cuirs et sous-produits d'abattoirs. Le processus de reconstruction était engagé...

On ne saurait passer sous silence les vives controverses que suscita à l'époque le problème de l'implantation des abattoirs à La Villette. Les experts-conseillers du gouvernement et les représentants des organisations professionnelles étaient divisés quant à la conduite à suivre en matière de réorganisation du marché de la viande.

Les uns pensaient que l'existence d'un marché vif à La Villette, comportant un grand abattoir industriel, ferait de Paris une « place » à vocation internationale et un centre de réexpédition vers l'étranger, de premier ordre ; les autres optaient au contraire pour une décentralisation de l'abattage. François Missoffe, Secrétaire d'État au Commerce intérieur, proposait un plan se fondant sur l'idée que les abattoirs devaient être situés dans les zones de production, que la participation des producteurs à la réorganisation du marché devait être assurée et qu'il était indispensable de diminuer l'emprise des professionnels sur le marché de la viande.

Les partisans de la reconstruction sur place l'emportèrent. En effet, le 8 février 1962, un Comité interministériel, tenu sous la présidence du Premier ministre, prenait la décision de poursuivre sur l'emplacement de La Villette la construction d'un abattoir moderne.

«A vrai dire, écrivait G. Arfeuillère, grand spécialiste des marchés de la viande, une telle décision signifiait beaucoup moins la victoire d'une conception sur une autre que le triomphe des faits : au point d'avancement où en étaient les travaux et étant donné l'ampleur des dépenses engagées, la remise en cause du projet n'était plus possible. (23) »

Le 19 février 1962 commençait la construction du bâtiment de stabulation. Mis en service en 1967, « l'hôtel à vaches », comme l'appelait François Missoffe, Secrétaire d'État au Commerce intérieur, coûta 300 millions.

Le bâtiment d'abattage, primitivement considéré comme un établissement semi-artisanal devint, après que d'importantes modifications techniques lui eurent été apportées, un abattoir industriel. Commencé fin 1963, il n'entra en service que le 2 janvier 1969. Très vite, on assistait à une chute spectaculaire des abattages qui allait avoir de graves conséquences sur la situation financière de la société prestataire de services. En effet, moins d'un mois après le démarrage des chaînes d'abattage, les trois quarts du capital étaient consommés.

On invoqua à l'époque l'importance des charges sociales, la surqualification du personnel et la mauvaise répartition des activités de l'abattoir. En fait, ce furent surtout des facteurs internes à La Villette qui exercèrent un effet de dissuasion sur les professionnels, conduisant un certain nombre d'entre eux à donner leur préférence aux abattoirs voisins. Au premier rang de ces éléments de dissuasion, les tarifs des prestations de service nettement plus élevés que dans les autres abattoirs (24).

La construction des frigorifiques commença en août 1964. L'ensemble des chambres froides et de réfrigération, qui représentait une surface globale de l'ordre de 20.000 m2, fut terminé à la fin de 1968.

L'année 1966, initialement prévue pour l'ouverture du Marché d'intérêt national, marqua le début des travaux de la salle des ventes, mais en 1967, tout s'arrêtait sur le chantier, faute de crédits. Les travaux reprenaient au cours des années suivantes pour être définitivement abandonnés en mai 1970.

C'est véritablement à la fin de cette année que ce grand navire, qu'était le complexe de La Villette, commença à donner de la bande.


(18) Cf. A. Gravereau, Chère Villette, Paris, 1977, pp. 60-67.
(19) Cf. Rapport de la commission d'enquête parlementaire créée par le Sénat.
(20) Ibid. Rapport de la commission d'enquête parlementaire, p. 19.
(21) Ibi. p. 20.
(22) Cf. Viande et Réalités économiques et politiques, Paris, édit. Brunétoile, 1957, p. 91.
(23) G. Arfeuillère, L'organisation des marchés de la viande et des produits laitiers en France, Paris, éd. Cujas, 1964, p. 162.
(24) N’oublions pas en effet que dans un rayon de 50 kilomètres environ autour de Paris, 11 abattoirs publics, non retenus au Plan, continuaient de fonctionner ainsi que 47 tueries particulières dans les Yvelines, 37 dans l'Essonne, une dans le Val de Marne et 21 dans le Val d'Oise.

La fin d'une histoire

Le 8 octobre 1970, deux sénateurs déposaient une proposition de résolution instituant une commission d'enquête relative à l'aménagement et à la gestion des abattoirs et du marché d'intérêt national de La Villette. L'exposé des motifs rappelait que la Cour des comptes dénonçait, dès son rapport public de 1967, " le dépassement considérable des dépenses initialement prévues " et que les récents débats du Conseil de Paris montraient que non seulement aucun remède n'avait été apporté à la situation dénoncée par la Cour des comptes, mais encore que les incertitudes et les erreurs relevées en 1967 s'étaient aggravées au point que la presse parlait maintenant du scandale de La Villette.
Le 14 décembre 1970, le Sénat, après avoir examiné les conclusions du rapport présenté par M. Marcilhacy, décidait la constitution d'une Commission d'enquête parlementaire sur les conditions techniques, économiques et financières de conception, construction, d'aménagement et de gestion des abattoirs et du marché d'intérêt national de Paris - La Villette. Le jeudi 22 avril 1971, le Sénat décidait, à l'unanimité, de rendre public le rapport de sa commission d'enquête. Celui-ci était accablant. Après avoir constaté qu'un vertige s'était emparé des meilleurs esprits, au point de leur faire oublier que l'imagination, qui est loin, en elle-même, d'être condamnable, doit toujours se soumettre aux impératifs du bon sens et que la technique d'avant-garde ne doit pas être expérimentée sur une telle échelle et pour de telles dépenses, même si on accumule les contrôles, le rapporteur de la commission d'enquête concluait en ces termes : L'avenir de La Villette appartient désormais au Gouvernement. Votre commission n'a pas compétence pour envisager cet avenir qui, d'ailleurs, ne semble pas particulièrement simple à tracer. Ou bien, on procède à l'arrêt des activités de La Villette et à la destruction des installations ; ou bien, on poursuit dans le cadre actuel : dans l'un et l'autre cas, la note à payer sera fort élevée.
Toutefois, il est urgent de mettre un terme à une situation qui n'a que trop duré. Depuis mai 1970, date d'arrêt des travaux, l'hémorragie financière se poursuit en raison du déficit du compte d'exploitation de la Société d'économie mixte et de la Société technique d'abattage [...] Le renom et l'autorité de l'État pourraient ne pas résister à une seconde affaire de La Villette.
Trois ans après la publication du rapport de la commission d'enquête, le marché pilote de La Villette fonctionnait toujours. Les usagers du complexe savaient que la partie était perdue et cependant, ils continuaient à se battre avec l'énergie du désespoir pour défendre leur outil de travail.
Dans l'après-midi du 23 octobre 1973, les services du Premier ministre diffusaient un communiqué annonçant que le Gouvernement avait décidé de mettre un terme à l'ensemble des activités du marché d'intérêt national à compter du 15 mars 1974.
Les 54 hectares de La Villette, l'un des derniers morceaux du Paris intra muros, pouvaient désormais être livrés aux futurs aménageurs.

Une page de l'histoire du XXe arrondissement, et celle qui l'avait le plus marqué, était définitivement tournée.

Ailleurs, en Europe.


En Angleterre, le Public Health Act du 11 août 1875 (38 et 39 Vict.,c. 55., art. 169) donnait aux autorités urbaines, c'est à dire dans les bourgs, aux aldermen et au conseil, le droit d'établir des abattoirs, de faire des règlements pour la tenue de ces abattoirs et de fixer le tarif des taxes à percevoir. Le City of London sewers Act 1851 (14 et 15 Vict., c. 91) confère à la commission des égouts (commissioners of sewers) le droit de délivrer les autorisations d'abattoirs dans la Cité. Dans les autres parties de la métropole, l'autorisation est accordée par les juges de paix avec l'assentiment du bureau des travaux (Board of works).
En Belgique, les abattoirs sont autorisés par la députation permanente du conseil provincial, le collège des bourgmestres et échevins préalablement entendu. (Arrêté royal, 29 janvier 1863.).
En Prusse, la loi du 18 mars 1861, complétée par la loi du 9 mars 1881, permettait aux municipalités d'interdire les tueries particulières dans les communes où un abattoir public est établi et d'organiser une inspection sanitaire sur les viandes abattues. A Berlin, l'abattage particulier a été interdit en 1883. Un abattoir public central, situé près du marché aux bestiaux et relié une ligne de chemin de fer, comprenait trois abattoirs à bœufs (135 échaudoirs), deux abattoirs à porcs, des bouveries et des porcheries, un marché à la viande, et une fonderie de suif.


 
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