ENCYCLOPEDIE -DE--LA--LANGUE -FRANCAISE
- LETTRE A
 

Philosophie à Sport - Sciences : Médecine

 
Vitamine A - déficit 1


Extrait de: "Le déficit en vitamine A : aspects épidémiologiques et méthodes de contrôle"

Auteurs: M. Ag Bendech, M. Chauliac : Centre international de l'enfance et de la famille, Bois de Boulogne, 75016 Paris, France.
D.J.M. Malvy : Centre René-Labusquière et INSERM U. 330, Université Victor-Segalen Bordeaux-II, 33076 Bordeaux cedex, France.

Introduction
Ampleur du déficit
Causes et déterminants
Conséquences du déficit
Méthodes d'évaluation du statut en vitamine A:
Signes cliniques
Tests biochimiques
Méthodes histologiques
Méthode de dilution isotopique
Estimation des apports alimentaires
 



Introduction

Depuis trente ans, de nombreuses recherches ont été effectuées sur cette vitamine, tant en laboratoire que sur le terrain [3-6]. L'impact de sa carence en termes de fréquence, de morbidité et de mortalité a fait l'objet de nombreux travaux depuis les vingt dernières années. Cette forme de malnutrition concerne plusieurs millions d'individus vivant dans les pays en développement. Dans les pays industrialisés, le développement socio-économique, l'amélioration de l'accès aux soins médicaux et la diversification de l'alimentation ont permis de faire disparaître cette carence vers le début du xxe siècle. Avec le développement de l'industrie agro-alimentaire, certains aliments ont été enrichis en vitamine A tels que le lait, la margarine et les aliments pour enfants [7].

La carence en vitamine A, associée à des modes de consommation alimentaire monotones et restreints, constitue un grave problème de santé publique à l'échelle de la planète. Elle est la principale cause de cécité infantile dans le monde, mais aussi une cause importante de mortalité des jeunes enfants.
Les méthodes d'évaluation du statut en vitamine A sont difficiles à conduire et à interpréter sur le terrain. Le choix de ces méthodes doit tenir compte du contexte épidémiologique des zones concernées et de l'objectif de l'enquête (étude de base, recherche, évaluation).
Il existe trois principales méthodes de prévention de la carence en vitamine A : la supplémentation de type médicamenteux, l'enrichissement des aliments et la modification des comportements alimentaires en termes d'amélioration de la production et de la consommation des aliments riches en vitamine A. À moyen et à long terme, l'enrichissement des aliments et le changement de comportement vis-à-vis de l'accès aux aliments riches en vitamine A, y compris les produits animaux, pourraient être les mesures d'intervention associées aux meilleurs résultats.

Ampleur du déficit

L'ampleur de la carence en vitamine A est difficile à évaluer avec précision. D'une part, on ne sait pas à partir de quel moment la carence est associée à la survenue d'effets délétères et, d'autre part, les résultats de l'évaluation du statut en vitamine A sont délicats à interpréter [14]. Cependant, le déficit en vitamine A est largement répandu parmi les enfants des pays en développement. Sa prévalence et ses conséquences seront très probablement mieux appréciées lorsque les bases scientifiques d'évaluation seront affinées. Globalement, le déficit en vitamine A semble être plus répandu et plus sévère en Asie du Sud ou du Sud-Est et en Afrique subsaharienne qu'en Amérique latine. On estime que plus de la moitié des enfants d'âge préscolaire des pays en développement en sont affectés. Environ 3 millions sont atteints de manifestations cliniques oculaires de xérophtalmie et une partie d'entre eux souffre de carence subclinique [15]. À l'heure actuelle, la carence en vitamine A est un problème de santé publique dans soixante pays et pourrait l'être au moins dans une douzaine d'autres pour lesquels les données ne sont pas disponibles. Chaque année 500 000 enfants perdent totalement ou partiellement la vue pour cette raison [15].


Causes et déterminants

La carence est surtout importante dans les régions où la consommation de produits animaux est faible et où céréales ou féculents sont largement prédominants.
Le déficit chronique d'apport en vitamine A, comme toute malnutrition par carence, est lié à de nombreux facteurs sociaux, culturels, économiques, environnementaux et éducatifs, et touche principalement les enfants. Les maladies infectieuses, plus spécialement la rougeole, ainsi que les infections gastro-intestinales, respiratoires et urinaires peuvent précipiter l'apparition du déficit chez les enfants n'ayant pas ou que peu de réserves hépatiques.
Jusqu'à présent, dans les zones carencées, les études de prévalence et de supplémentation en vitamine dominent le champ de recherche. Des études épidémiologiques analytiques de type cas/témoins pourraient être couplées systématiquement aux enquêtes descriptives habituelles afin de mieux préciser les facteurs de risque sociaux, culturels et physiologiques dans une optique globale d'intervention.


Conséquences du déficit

Les conséquences d'un déficit en vitamine A sont nombreuses. Elles sont cependant réversibles, jusqu'à un certain point, par une intervention appropriée, souvent difficile à réaliser au niveau communautaire dans les pays en développement pourtant les plus touchés. Les tissus épithéliaux de l'organisme sont particulièrement vulnérables, or la vitamine A joue un rôle dans le maintien de leur intégrité structurale et fonctionnelle. Elle favorise la différenciation des cellules épithéliales ainsi que la multiplication des cellules sécrétoires [11]. Les lésions oculaires représentent les conséquences les plus étudiées de la carence et sont classiquement regroupées sous le terme de xérophtalmie. Une abondante littérature lui est consacrée. On peut observer, au niveau de la rétine, une altération précoce de l'adaptation à l'obscurité (héméralopie) et, au niveau de la cornée, une kératinisation progressive avec atrophie de la conjonctive bulbaire pouvant aboutir à la cécité. Au niveau de la peau et des muqueuses, une dyskératose est classiquement rapportée, ainsi qu'une xérose cutanée.
L'amélioration du statut en vitamine A chez les enfants d'âge préscolaire dans des populations carencées permet de réduire le taux de mortalité de cette tranche d'âge de 25 à 30 %
[16, 17]. Toutefois, aucune conclusion ferme n'est encore donnée à propos de l'effet de la supplémentation sur la réduction de la morbidité et de la mortalité dans les populations non carencées [8].
Une corrélation positive entre la concentration plasmatique de la RBP et l'indice poids/âge a été montrée par certains auteurs. D'autres n'ont pas trouvé de corrélation entre les indices poids/âge et taille/âge et les manifestations cliniques ou biologiques de la carence en vitamine A
[18]. D'autres encore mentionnent un risque particulier de déficit en RBP chez les enfants souffrant de malnutrition chronique [19]. Il semble intéressant de mener des études spécifiques dans les situations où les deux problèmes nutritionnels coexistent de façon endémique.
L'avitaminose A joue un rôle dans l'expression ou la gravité de plusieurs maladies infectieuses, notamment de la rougeole et de la diarrhée. Cette relation a été rapportée dans de nombreux travaux et dans différents contextes
[20]. Elle semble associée aux altérations des tissus épithéliaux. Au Nigeria, 42 % des enfants scolarisés ayant un handicap visuel ont été atteints d'un ulcère de la cornée dans les suites de la rougeole et, dans la partie septentrionale du pays, la rougeole constitue un facteur augmentant le risque de xérophtalmie [21, 22]. Le paludisme et les parasitoses intestinales semblent être d'autres facteurs de risque de la carence en vitamine A [23].
Des travaux récents ont rapporté que cette carence était relativement fréquente au cours de l'infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH)
[24]. Un déficit chez la mère infectée par le virus favoriserait la transmission au nouveau-né [25]. Une autre étude a mis en évidence l'effet d'une supplémentation en vitamine A sur la réduction de la morbidité chez les enfants nés de mères infectées par le VIH. Cette intervention était associée à une moindre sévérité des diarrhées chez les enfants contaminés [26].
Des anomalies spécifiques de la réponse immunitaire sont associées à la carence en vitamine A
[8, 27]. Des apports faibles en vitamine A pourraient constituer un facteur de risque de survenue de certains cancers [28, 29]. Des investigations épidémiologiques ont montré une corrélation inverse entre la consommation de fruits et légumes riches en bêta-carotène et la fréquence d'apparition de certains cancers (poumon).


Méthodes d'évaluation du statut en vitamine A

Les différentes méthodes d'évaluation du statut en vitamine A réalisables au niveau de la population ont chacune des avantages et des limites que nous rappellerons ici.

Signes cliniques

Les données cliniques ne révèlent qu'un aspect tardif de la carence vitaminique A. Les états subcliniques et intermédiaires du déficit ne sont pas détectés. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) propose des critères pour la classification des déficits et l'estimation de l'importance du problème sur le plan de la santé publique
[30].
La xérophtalmie comprend l'ensemble des signes cliniques oculaires de la carence, à l'exception de la baisse de la vision crépusculaire qui représente la première manifestation clinique. Ce dernier signe est recherché, dans les enquêtes sur la population, par l'interrogatoire et reste donc subjectif. Cependant, des travaux ont déjà montré qu'il n'était pas nécessaire, au cours de l'interrogatoire, de décrire les signes recherchés dans les régions où la xérophtalmie porte un nom local connu de la majorité des individus
[31, 32]. L'héméralopie peut être confirmée par des tests mesurant le temps d'adaptation à l'obscurité et le temps de restauration de la vision.

Tests biochimiques

Une concentration de rétinol sérique inférieure à 10 µg/dl est révélatrice d'une carence en vitamine A à l'échelon individuel. Au niveau d'une population, l'OMS considère qu'il existe un problème de santé publique lorsqu'au moins 5 % des sujets ont une valeur de rétinol sérique inférieure à ce seuil. Les concentrations plasmatiques de rétinol doivent être interprétées avec une grande prudence car une malnutrition protéique associée, une atteinte hépatique et une infection intercurrente peuvent affecter le transport de vitamine A, et donc sa valeur périphérique
[33]. Lors de l'utilisation du test dose-réponse relative (RDR test), la modification de la réponse à une dose de charge de rétinol est un moyen précis d'évaluation des réserves vitaminiques A. Ce test n'est néanmoins pas validé dans les situations de malnutrition protéinique sévère ou modérée. Sa mise en œuvre nécessite la réalisation d'examens de laboratoire répétés sur des sujets disponibles pendant une journée. Il est difficile à réaliser pour des raisons logistiques, en enquête de masse. Ce test a été utilisé dans plusieurs études visant des groupes cibles particuliers [34].
Récemment, la méthode de la dose-réponse relative modifiée (DRRM) a été mise au point. Dans ce cas, un seul prélèvement de sang est requis après l'administration orale de 2,3 didéhydrorétinyl acétate ou vitamine A2 (analogue naturel du rétinol). Le rapport déhydrorétinol/rétinol sert d'indicateur du statut vitaminique A
[35, 36]. L'inconvénient majeur de ce test est l'utilisation de la vitamine A2 qui n'est pas couramment produite. Elle est synthétisée ou extraite à partir du foie de poisson [35].
La concentration de bêta-carotène, reflet d'un apport récent en caroténoïdes, est un bon critère de validation de l'enquête de consommation alimentaire. Mais sa valeur est difficile à interpréter et le seuil fixé (400 µg/l) n'est utilisable que lorsque la concentration de rétinol plasmatique est diminuée
[37].
D'autres tests biochimiques ont été récemment proposés pour évaluer le statut en vitamine A. Il s'agit, entre autres, du dosage du rétinol dans le lait maternel, de celui de la RBP plasmatique ou du rapport molaire rétinol/RBP
[35].

Méthodes histologiques

Les deux méthodes utilisées sont le test d'impression oculaire (CIC) et l'impression conjonctivale transférée (ICT). Le principe des tests histologiques est fondé sur la différenciation cellulaire induite par le déficit en vitamine A (disparition des cellules de Goblet, diminution des cellules épithéliales). Ces tests présentent l'avantage de détecter une déficience marginale. Ils sont, de plus, peu coûteux, n'exigent pas de prélèvements sanguins et ne nécessitent que peu de matériel. Cependant, ils n'ont pas de valeur et de critères de classification universellement reconnus et leurs résultats doivent être interprétés avec prudence dans les régions où sévit le trachome à l'état endémique
[38]. Les conditions d'interprétation des résultats de ces tests sont encore discutées [33].

Méthode de dilution isotopique

Il s'agit d'une méthode plus récente que les précédentes. Elle détermine l'importance des réserves en vitamine à partir de la dilution d'une dose précise de vitamine A marquée au deutérium, sur une période de quelques jours à deux semaines, après l'injection intraveineuse ou l'administration orale du composé. Son utilisation dans les enquêtes de masse est limitée à cause de son coût encore élevé
[35, 36].

Estimation des apports alimentaires

Indirectement, les individus ou groupes à risque de carence en vitamine A peuvent être identifiés en se fondant sur l'estimation quantitative ou semi-quantitative des apports
[14]. Comme pour toute évaluation des apports nutritionnels, plusieurs méthodes d'enquête existent (par enregistrement ou par rappel). Le choix dépend de l'objectif, de la population de l'étude et des moyens. Chaque méthode a des avantages et des limites [39]. Leur mise en œuvre pour l'estimation des apports en vitamine A présente les mêmes difficultés et sources d'erreurs que pour les autres nutriments [40]. Elles peuvent permettre une première approche des facteurs déterminants des comportements alimentaires, souvent indispensable pour envisager des actions, les modifier et en tester l'impact. Cependant, elles sont coûteuses et lourdes à mettre en œuvre, et posent de nombreux problèmes tant dans le recueil des données que dans la transformation des quantités d'aliments en équivalents rétinol.
Ces dernières années, deux méthodes simplifiées semi-quantitatives ont été proposées et largement utilisées sur le terrain dans les pays en développement. Elles visent à déterminer les fréquences de consommation hebdomadaire ou quotidienne d'aliments riches en vitamine A et de matières grasses
[41]. Ces fréquences sont ensuite converties en un indice de consommation en vitamine A ou en nombre d'occasions-jours. Elles peuvent servir à une estimation grossière du risque d'apports insuffisants et, éventuellement, à l'évaluation des programmes. Cette approche, mise au point par le groupe consultatif sur la vitamine A (IVACG), présente l'inconvénient de ne pas permettre le calcul de la couverture « réelle » des besoins en vitamine A [42]. Elle donne des résultats difficilement interprétables dans le contexte d'une alimentation de faible densité en équivalents rétinol. Dans les pays en développement, les nouvelles données sur l'activité vitaminique A des caroténoïdes exigent une plus grande précision qu'auparavant pour l'estimation des apports. En effet, le calcul des teneurs et apports en équivalents rétinol peut comporter un important degré d'erreur lorsque la vitamine A alimentaire est en majeure partie apportée sous forme de caroténoïdes [43].





------------